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sénat, qui, sans menacer personne, ne laissent pas néanmoins d’être assez vivement discutées dans quelques pays de l’Europe, ces questions ont pris depuis quelque temps une certaine importance, ne fût-ce que comme dédommagement du médiocre rôle que nous avons joué en Égypte. La principale est évidemment aujourd’hui cette affaire du Tonkin, pour laquelle le gouvernement vient de demander un crédit assez élevé et qui va être décidée ces jours prochains par le parlement. Il s’agit, pour tout dire en quelques mots, d’envoyer un corps expéditionnaire dans ces régions du Tonkin qui touchent à l’empire chinois, qui sont déjà soumises par un traité régulier de 1874, à l’influence exclusive de la France, et dont l’occupation est devenue une nécessité pour garantir nos possessions de l’Indo-Chine. La difficulté est de mener à bonne fin cette occupation en évitant de se jeter dans des aven-tares guerrières avec l’empire de Chine, qui revendique toujours cette contrée, et en continuant ou en renouvelant les rapports de protectorat avec le royaume d’Annam, dont le Tonkin est une dépendance. Cette difficulté, on l’a étudiée sous toutes ses faces sans doute, on la surmontera. Tout est du reste visiblement engagé déjà. Des troupes ont été expédiées et un envoyé est parti pour aller négocier avec le souverain d’Annam, le roi ou empereur Tu-Duc, l’exécution pacifique de nos desseins. La chambre semble toute disposée à donner au gouvernement toutes les ressources dont il a besoin. L’entreprise est certainement séduisante, puisque c’est l’extension, le complément de cet empire colonial de l’extrême Orient dont la Cochinchine a été la première ébauche. Qu’on réfléchisse bien seulement sur la nature de l’œuvre qu’on se propose. Qu’on n’oublie pas les mécomptes auxquels on s’est exposé dans cette campagne tunisienne qui a pu être compromise par le décousu de l’organisation et de l’exécution autant que par les malhabiles dissimulations du gouvernement. Qu’on se rende bien compte qu’il faut autant de fermeté que d’esprit de suite et de prudence si l’on veut faire quelque chose de sérieux dans ces régions lointaines, si l’on ne veut pas recommencer cette série de fautes, de défaillances, de contradictions qui ont marqué notre politique en Orient depuis quelques années et qui nécessitent aujourd’hui un effort décisif. L’essentiel est de concilier ces intérêts lointains avec nos intérêts de grande puissance. — Après cela il restera toujours vrai que, pour raffermir là France en Europe, pour lui assurer les moyens de jouer son rôle dans le monde, la première condition est de lui faire une politique intérieure qui ne mette pas l’instabilité dans ses institutions, le désordre dans ses finances, la division dans les consciences et dans les esprits, — qui ne perpétue pas enfin le malaise sous l’apparence d’un calme trompeur et éphémère.

L’Angleterre, à part ces questions lointaines qui la touchent toujours au vif, parce qu’elles intéressent son influence et son commerce,