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multiplier complaisamment ses exposés dans le sénat comme dans la chambre des députés de Rome et, selon le mot spirituel de M. Challemel-Lacour, il a commenté ses propres commentaires. Ces déclarations multiples, il est vrai, n’ont pas notablement contribué à dissiper les nuages qui couvraient, qui couvrent encore la triple alliance ; elles n’ont même pas été toujours absolument concordantes. Quand les ministres étrangers ont eu parlé, on n’a pas été beaucoup plus avancé. C’était une raison de plus pour que la curiosité témoignée par M. le duc de Broglie, inspirée par un sentiment tout patriotique, ne dût pas paraître surprenante. Le ministre français n’a pas pu satisfaire cette curiosité : c’était son droit et peut-être son devoir. Chacun restait dans son rôle. Paris n’a point à coup sûr renvoyé la lumière qu’il n’a pas reçue de Rome, de Buda-Pesth ou de Londres. Ce qu’il y a de plus clair après tant de discours, c’est qu’il y a évidemment entre l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, quelque chose qui ressemble à une entente, à un rapprochement, mais que cette entente, à laquelle on s’accorde à maintenir un caractère tout défensif, tout pacifique, n’a rien d’offensant ni de menaçant pour la France. On le dit, nous le voulons bien. C’est là un de ces incidens qu’il ne faut ni diminuer ni exagérer.

Après tout, ce n’est pas la première fois que des combinaisons de ce genre se produisent ; à cette heure même, justement, on publie les dernières parties des volumineux Mémoires du prince de Metternich. C’est l’histoire d’un homme qui, après avoir été mêlé aux événemens mémorables du commencement du siècle, après avoir réussi à reconquérir pour son pays une grande situation, avait mis son génie dans la politique de l’immobilité. Il a passé sa vie à nouer, lui aussi, des combinaisons pacifiques, défensives. Au lendemain de la révolution de 1830, M. de Metternich réunissait les souverains d’Autriche, de Russie et de Prusse à Münchengraetz dans une triple alliance qui paraissait assez énigmatique, et l’on se souvient de la hauteur avec laquelle l’ancien duc de Broglie, alors ministre des affaires étrangères de France, recevait la communication de ce qui s’était passé à Münchengraetz. Quelques années après, M. de Metternich réunissait encore les trois souverains à Tœplitz pour confirmer plus que jamais l’alliance. A quoi ont abouti ces savantes combinaisons ? Elles n’ont sérieusement servi à rien. Le seul point nouveau aujourd’hui est l’entrée de l’Italie, à la place de la Russie, dans cette autre triple alliance. Si l’Italie est flattée de son rôle, elle est libre. Quant à la France, ce qu’elle a de mieux à faire, c’est de ne montrer aucune impatience prématurée de cet isolement que les événemens lui ont créé et de profiter de sa liberté pour résoudre quelques-unes de ces questions coloniales qui, en intéressant son rôle extérieur, ne sont certes pas de nature à troubler la sécurité du continent. Ces questions qui ont été effleurées dans la dernière discussion du