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fait, non en politique passionné, mais en jurisconsulte aussi instruit que mesuré. Il a montré tout ce qu’il y avait de vain dans ces prétentions nouvelles, dans ces interprétations captieuses de tout un passé, et M. le garde des sceaux, en se bornant à commenter, à s’approprier l’avis du conseil d’état, ne s’est pas aperçu qu’il répondait à la question par la question, qu’il n’avait rien justifié du tout, qu’il réhabilitait tout simplement le bon plaisir dans les affaires ecclésiastiques.

Où donc le conseil d’état a-t-il découvert ce droit qu’il reconnaît au gouvernement de supprimer de sa volonté propre les traitemens du clergé, non-seulement des desservans, mais encore des prêtres, des évêques dont la position est reconnue par le concordat ? Dans quelle disposition précise de législation puise-t-on cette prérogative exorbitante qui ferait d’un ministre de parti, éphémère comme les circonstances qui l’ont porté au pouvoir, l’arbitre capricieux de l’existence du clergé, des nécessités du culte ? Est-ce à l’ancien régime qu’il est permis de demander des exemples ? Il faudrait cependant être sérieux. S’il y a des prérogatives d’état qui sont inhérentes à la république comme à la monarchie, qui se transmettent à travers tous les régimes, il y a aussi des conditions de vie publique et sociale qui se transforment incessamment, il y a des garanties nouvelles qui entrent à leur tour dans le droit. Quelle analogie y a-t-il entre le temps présent et une époque où ce mot de « temporel » dont on se sert avait un autre sens, où le roi était le protecteur, le gardien d’une religion d’état, où il avait des privilèges particuliers par cela même qu’il se chargeait d’exécuter, de faire respecter les lois de l’église ? Nos ministres ne sont pas, que nous sachions, des « évêques du dehors, » et s’ils n’acceptent pas les obligations des rois, ils n’ont pas apparemment leurs droits. Est-ce à l’empire et à ses décrets de 1813 qu’on peut demander des armes ? Plaisante ambition pour la république de chercher ses modèles dans un régime où la volonté d’un maître était la première loi, où tout se décidait par mesure de haute police ! Ce droit qu’on prétend avoir reçu en héritage de tous les gouvernemens, qu’on affecte de mettre aujourd’hui au-dessus de toute contestation, est, au contraire, si peu certain, si peu clair, qu’il n’y a pas longtemps » encore des ministres hésitaient à se l’attribuer ; ils croyaient, il est vrai, l’avoir pour les desservans, ils avouaient naïvement qu’ils ne l’avaient pas à l’égard des évêques et des curés reconnus par le concordat. M. Paul Bert lui-même, dans son passage aux affaires et depuis, croyait si peu à ce droit de suspension sommaire des traitemens ecclésiastiques qu’il proposait justement de l’inscrire dans des projets destinés, selon lui, à compléter le concordat, à ajouter une sanction pénale aux déclarations d’abus. Ce droit n’est nulle part, dans aucune loi, dans aucun texte. Que reste-t-il donc ? Il reste ce triste penchant qui tend à faire de la république d’aujourd’hui le résumé et