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aucun théâtre autant qu’à la Comédie-Française on n’a souci de ce rapport de la décoration au drame : il faudra cependant que, dans tous, on en vienne à garantir ce rapport ; est-il donc sage de reprocher à la Comédie-Française le bon exemple qu’elle propose ?

C’est encore de la Comédie-Française qu’il faut attendre les réformes du costume, et celle-ci, qui sera la première de toutes, car elle en est la condition nécessaire : à savoir que les costumes, aussi bien les costumes de ville que les costumes historiques ou étrangers, soient fournis par le théâtre. On sait qu’autrefois le comédien était tenu de se vêtir lui-même, qu’il représentât un roi de tragédie ou bien un bourgeois du temps ; l’actrice devait se défrayer de tout, qu’elle fît Hermione ou Célimène, Zaïre ou Susanne. De là cette fantaisie qui régnait sur le costume, chacun n’ayant qu’un souci : être aussi galamment paré que possible, au meilleur marché ; les grands seigneurs donnaient aux comédiens leurs habits de cour à peine portés ; les comédiennes à la mode imitaient les grandes dames, lorsqu’elles ne tenaient pas de leur libéralité leurs propres ajustemens. Si l’on est venu à établir, au profit du bon sens, l’unité de ton dans les costumes, c’est que les entrepreneurs de théâtre se sont décidés à les fournir. On fait encore une exception pour les habits de ville : rien ne saurait la justifier. Un vêtement qui, doit servir sur la scène, que ce soit la toge ou la redingote, le pallium ou la jupe moderne, doit être commande, exécuté, payé par les soins du directeur et selon les avis de l’auteur aussi bien qu’un décor et qu’un meuble, que ce décor représente un palais antique ou bien un salon de nos jours, que ce meuble soit une chaise curule ou soit une « fumeuse. » Ce n’est pas seulement l’équité qui le conseille ; c’est la raison d’art qui l’exige. Ainsi seulement serons-nous assurés que les costumes aussi bien que les décors exprimeront la pensée de l’écrivain et conviendront aux personnages. Jusque-là que verrons-nous ? Ce que nous voyons chaque jour : neuf fois sur dix, par des motifs que l’on devine, les hommes sont mis trop pauvrement et les femmes trop richement.

La répétition générale ou même la première réserve à l’auteur de singulières surprises : l’amoureux sort du Jockey-Club avec un pantalon coupé par un tailleur concierge ; la femme séparée, qui vit dans la retraite, porte une toilette qui ferait pousser des « ah ! » sur le champ de courses. Dans une comédie de M. Gondinet, je me souviens qu’un père d’humeur facile interrogeait son fils en camarade sur une note de bijoutier qu’il avait reçue par erreur : « Doit M. de Jordane pour diamans montés en clous de sabot… Qu’est-ce à dire ? — Hé ! oui, répliquait le jeune homme ; c’est pour Nadine… Elle joue un rôle de paysanne… Pas moyen de porter ses diamans ! .. Je les ai pris et fait monter comme dit la facture. — Malheureux ! s’écriait le père ;