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même que celui du Bourgeois gentilhomme, ni la toilette d’Agnès ou d’Henriette celle de Cathos ou d’Uranie.

Mais dans nos pièces modernes, quels soins plus délicats ne faudra-t-il pas pour assurer la perpétuelle convenance du décor et du costume au drame ! Non-seulement nous sommes mieux renseignés sur nos contemporains que sur les Grecs et les Romains ou sur nos pères, de sorte qu’ici la moindre inexactitude nous choquera, mais dans nos comédies l’unité de temps et celle de lieu sont rompues ; les personnages sont plus matériels et plus individuels que ceux du théâtre classique ; ils sont de chair et d’os ; ils vieillissent, ils voyagent ; chacun a son tempérament qu’il nous fait connaître, son rang dans la société, ses habitudes, ses fortunes diverses ; aucun ne ressemble à l’autre ; aucun ne peut se passer de ses vêtemens et prendre ceux de son voisin ; aucun, s’il est chez lui, ne peut se passer de ses tentures et de son mobilier, ni se loger chez un autre, pas plus qu’un escargot ne se logera dans la coquille d’un crabe. Rarement un personnage pourra garder le même costume d’un bout à l’autre de la pièce : le vêtement du matin n’est pas celui de l’après-midi ni du soir ; le vêtement du travailleur n’est pas celui du parvenu ; ni le vêtement de l’homme riche celui de l’homme ruiné. Tel qui, au premier acte aura un lustre au plafond, n’aura plus à la fin de flambeaux sur la cheminée ; même il aura été forcé de déménager : au lieu de satin sur la muraille, il n’aura qu’un papier déchiqueté ou bien ce sera le contraire, la fortune lui ayant souri. Des nuances presque imperceptibles devront être observées : la coquette qui s’habille comme une « cocotte » ne doit pas être confondue avec elle, ni la femme du « meilleur demi-monde » qui singe la femme du monde ne doit avoir absolument le même aspect. Deux canapés, même deux fauteuils, ne seront pas pareils chez la baronne d’Ange ou chez Froufrou ; du moins, s’ils sont pareils, ce ne sera pas par aventure, mais par la volonté des auteurs.

On s’aperçoit que je parle comme si, dès maintenant, l’art de la mise en scène était porté à sa perfection ; comme si tous les directeurs s’occupaient avec un succès constant de la valeur expressive du décor et du costume ; comme si, au lever du rideau, le spectateur, en promenant ses regards de gauche à droite de la scène, en les arrêtant un moment sur les personnages, apprenait exactement où la scène se passe et quels individus sont devant ses yeux ; comme si, d’un bout à l’autre de la pièce, la mise en scène criait la vérité. On sait que nous n’en sommes pas là ; on sait de quel à-peu-près nous nous contentons, et que cet à-peu-près, malgré le mensonge des mots, est de beaucoup éloigné de l’idéal. Ce n’est pas souvent qu’on voit sur une scène un décor qui soit une expression particulière d’une situation. Combien, au contraire, de salons et de mobiliers d’aspect banal, qui conviennent également à plusieurs pièces, à plusieurs personnages et même aux plus divers, parce qu’ils ne conviennent à aucun ! Dans