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la face : vous n’êtes pas au bout de vos chagrins. Les partisans de l’art nouveau, — j’entends les lettrés et non les entrepreneurs d’exhibitions, — condamnent les premiers tout décor, tout costume, tout mouvement qui ne serait pas utile proprement au drame ; ces artifices de spectacle sont, de l’aveu de tous, faits pour les théâtres de féerie, qui ne veulent qu’amuser les yeux. Il faut laisser à ceux-là tout ce faux luxe de tableaux, de Vêtemens et de cortèges qui n’ont de prix que par eux-mêmes : l’auteur dramatique les trouvera précieux partout ailleurs que dans un drame ; il n’a pas donné son ouvrage comme un prétexte à les exposer. Mais peu à peu l’idée s’est formée que le décor et le costume et toute la mise en scène doivent s’accommoder exactement à l’époque et au lieu de l’action, ou, si l’auteur n’a pas pris garde de marquer cette époque et ce lieu, au temps et au pays de l’auteur, et par surcroît, dans l’un et l’autre cas, autant du moins qu’il se peut faire, à la condition, aux mœurs, au caractère du personnage. Que la mise en scène ainsi entendue puisse nuire au drame, je n’imagine pas que personne s’avise de le soutenir ; qu’elle lui serve plus ou moins, on disputera là-dessus, mais d’un commun accord on reconnaîtra qu’elle lui sert. D’ailleurs, à consulter l’histoire, à voir le perpétuel progrès des exigences du public, ceux mêmes qui veulent qu’aujourd’hui cette mise en scène soit utile sans admettre qu’elle soit nécessaire, doivent bien se douter qu’un jour utilité deviendra nécessité. Un tel état de cet art moderne est donc au moins l’idéal vers lequel les directeurs de théâtre doivent insensiblement le pousser. Voit-on assez clairement combien il en est encore loin ? Si l’on se reporte en arrière de deux siècles, on admire peut-être les changemens obtenus ; mais si l’on regarde vers l’avenir, on ne peut manquer de trouver que nous sortons à peine de la barbarie. Au moins ne aut-il pas décourager ceux qui s’efforcent à nous en tirer. Nous savons ce qu’il faut faire ; c’est l’avantage le plus solide que nous ayons jusqu’ici sur nos devanciers : au moins ne faut-il pas gêner ceux qui commencent de le faire ; nous devrions compte de cette malveillance à nos successeurs.

Est-ce, d’aventure, dans cette partie de l’art qu’on appelle proprement la « mise en scène, » est-ce dans la façon de régler les rapports du jeu d’un acteur au jeu des autres que nous avons fait depuis deux cents ans tant de progrès qu’il soit prudent de nous arrêter ? « Molière, dit La Grange, n’était pas seulement inimitable dans la manière dont il soutenait tous les caractères de ses comédies, mais il leur donnait encore un agrément tout particulier par la justesse qui accompagnait le jeu des acteurs ; un coup d’œil, un pas, un geste, tout y était observé avec une exactitude qui avait été inconnue jusque-là sur les théâtres de Paris. » Avons-nous trop renchéri déjà sur les scrupules de Molière ? Mais il m’a été donné, le mois dernier, d’assister à une répétition