Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éconduit. Chateaubriand est représenté à deux époques de sa vie ; d’abord le portrait de la jeunesse, par Guérin, avec toute la mise en scène de rigueur : fatal, soucieux, la cravate lâche, les cheveux en désordre, René est assis sur des rochers abrupts, il se profile sur les torrens et les pics sauvages des arrière-plans. Dans le second portrait, le pair de France s’apprête pour le sacre de Charles X, il étale l’hermine et tous ses ordres sur sa poitrine. Mais, tel que nous le connaissons, il les donnerait bien volontiers pour rebrunir ses cheveux blancs et revenir à l’âge des rochers. Mme Récamier, dans le grand tableau de Gérard, fait mine d’ignorer que son ami se morfond là derrière, elle s’incline vers nous avec son sourire d’enfant innocente ; tout est marbre autour d’elle, l’atrium antique, la colonnade, les dalles où posent ses pieds nus ; bien qu’une mince portière garantisse à peine l’atrium des brises d’un jardin, l’héroïque femme a posé drapée dans un unique et léger tissu, avec une écharpe jaune sur les genoux ; elle est abandonnée sur une chaise de repos : quelle chaise ! quel repos ! Est-ce un avertissement aux espérances trop faciles, ce cadre de marbre et la sensation de froid qu’il donne ? Si elle le voulait, l’enchanteresse réchaufferait toutes ces glaces, elle le sait bien ; depuis les lettres de ce pauvre Benjamin Constant, nous nous défions, nous la soupçonnons d’avoir été la plus irréprochable sans doute, mais aussi la plus accomplie des coquettes. Ce n’est pas vous, René, qui y contredirez, et vous seriez plus avisé d’envoyer au moins l’un de vos portraits consoler là-haut l’infortunée Mme de Beaumont.

Avant de quitter l’empire, il faut rendre justice à ses peintres. Sauf Prudhon, ils n’étaient pas en grand crédit auprès de nous, et nous avons tous à nous reprocher quelques propos irrévérencieux sur leur compte. L’exposition des portraits, qui est un triomphe pour David, sera une réhabilitation pour ses disciples : chacun s’écriera en sortant de là : « Quel dommage pour eux et pour nous qu’ils aient jamais fait autre chose que des portraits ! » Girodet reprend un bon rang avec une ravissante jeune fille en blanc, avec le portrait noble, clair et simple de M. de Bourgeon. Gros se tiendrait moins bien sans le comte Chaptal, œuvre très travaillée et très vivante. Guérin est plus mal défendu par Chateaubriand ; Gérard, le peintre des femmes, serait impeccable s’il rencontrait toujours pour modèles des statues comme Mlle George ou Mma Récamier. Peut-être n’est-ce pas sa faute si ses héroïnes ont des attaches de cou aussi disgracieuses, si Mme Pasta a l’attitude d’une cigogne effarouchée ; la métaphore du col de cygne est tellement à la mode dans la littérature du temps que, pour la mériter, ces dames se croient obligées de distendre les muscles de leur nuque. Je ne sais