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arriva devant le Napoléon de Pagnest, s’arrêta net, le regard fixe, réveillé, doué sur cette toile. Je l’observai durant plusieurs minutes ; sa lourde pensée travaillait visiblement devant cette figure dont il savait la légende, ce soldat du peuple comme lui, entouré de maréchaux, commandant à tous, l’aigle d’argent de la Légion étincelante sur la poitrine. Mon homme n’était probablement pas un politique et ne connaissait que sa consigne ; mais je sentais bien que si le portrait avait parlé, la main se fût portée d’elle-même à la visière du shako, que si le portrait avait marché, l’homme aurait obéi, suivi, se serait fait tuer. Ce garde républicain, c’est la France de 1800, celle d’aujourd’hui, celle de toujours. Pour un temps, elle supporte Robespierre, elle s’accommode de Barras, de tout et de tous ; on la croit raisonnable ou résignée, jalouse de calme et de liberté ; mais la vieille imagination gauloise a le sommeil léger : vienne l’étincelle, elle s’enflamme, elle éclate, et l’homme du prodige l’emporte où il veut, toujours amoureuse de bruit, de force et de grandeur. J’ai vu devant ces tableaux les visiteurs de toute condition ; à des degrés divers, tous subissaient la fascination et trahissaient les sentimens du garde de Paris, la curiosité, l’enthousiasme, le respect chez les plus simples ; comme ce soldat, je crois bien que, si Napoléon avait ordonné, presque tous eussent obéi. Nous aurons beau modifier les cerveaux, puisqu’on les modifie aujourd’hui, nous ne changerons pas ce qui est d’essence humaine ; et c’est peut-être fort heureux, et peut-être avez-vous raison, garde de Paris, de croire encore aux épopées, à la gloire et aux miracles. Seulement tenez-vous en défense ; avant de croire, demandez d’abord le miracle ; quoi qu’en disent la légende et Béranger, l’empereur est bien mort. Garde républicain, n’allez pas prendre le change, si d’aventure vous rencontriez dans les salles un portrait qui ressemblât dangereusement à celui de Pagnest.

On devine comment est composé le salon où trône Napoléon ; la famille impériale, des généraux, des conventionnels repentis, grimés en sénateurs ou en pairs de la restauration, des femmes avec la taille sous la gorge et le turban sur les cheveux. De l’impératrice Joséphine il n’y a qu’un pastel de Prudhon ; c’est bien le genre de peinture qui convenait à la pauvre figure effacée. Plus loin, un superbe masque en grisaille de Pauline Borghèse, par le même Prudhon. L’adorable femme conserve toute la puissance du type napoléonien, tempérée par une grâce voluptueuse ; on ne sait ce qu’il faut le plus admirer, de l’art du peintre ou de la souveraine beauté du modèle ; c’est vraiment dommage que Prudhon ne soit pas tombé, comme Canova, sur un jour très chaud, et qu’il n’ait pas achevé la déesse. Auprès de l’empereur, les mères de famille s’attendrissent sur le roi de Rome, une tête blonde ébauchée par Lawrence ;