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pas sans quelque apparence d’ennui des scènes si largement humaines de la seconde partie dans ce récit d’aventures et de friponneries picaresques. Le second de ces épisodes, c’est l’histoire des rapports de Gil Blas avec le comte duc d’Olivarès. Imitée en plus d’un point du récit que fait Gonzalez de ses rapports avec le duc d’Ossone, elle a de plus le malheur de n’être guère qu’une répétition du récit des rapports de Gil Blas avec le duc de Lerme. Quant à ce que noue louions particulièrement tout à l’heure dans la seconde parue, cet équilibre maintenu savamment entre les droits de l’histoire et les exigences du roman, voilà surtout ce que l’on ne retrouve plus dans la dernière. Tel chapitre, — sur les causes de la disgrâce du comte duc d’Olivarès, par exemple, et sur la guerre de Portugal, — est un résumé d’événemens qui ne serait pas mal à sa place dans quelque endroit de l’Essai sur les moeurs. Et cependant, ces trois derniers livres, quoique par endroits fatigans à lire, ne sont pas inutiles au roman. Car ce sont eux qui achèvent de déterminer ce que l’on peut appeler à bon droit la philosophie de Gil Blas, et qui, de l’entrecroisement et du brouillamini de tant d’aventures, dégagent enfin une véritable conception de la vie. Autre trait encore que l’on essaierait vainement de retrouver dans les romans picaresques, et qui, plus que tout autre peut-être, a marqué la place du chef-d’œuvre de Le Sage parmi les romans qui durent. En effet, pour ceux qui ne contiennent que des aventures, si brillamment d’ailleurs qu’elles soient contées ou ingénieusement imaginées, on les lit quand on les rencontre, et l’on n’est même pas toujours fâché de les avoir lus, mais ceux-là seuls demeurent, et sont vraiment les seuls où l’on puisse revenir, qui enferment une signification précise et une leçon de tous les temps. C’est ici ce que n’ont pas toujours compris les délicats et les raffinés, ils ont cru que c’était surtout la manière de présenter les choses qu’ils goûtaient dans Gil Blas, et, contens de cette explication superficielle, ils n’ont pas pénétré jusqu’au fond. Mais le fond n’est pas moins intéressant que la forme, et il est facile de le montrer.

Rien assurément ne ressemble moins que l’ami Santillane, comme l’appelait familièrement son patron, le duc de Lerme, à un héros de roman, à un Hamilcar ou à un Saint-Preux. S’il s’agit de porter un jugement sur le personnage, il est donc permis de trouver que la plupart du temps, jusque dans ses pires friponneries, il porte une bonne humeur égale et souriante qui n’est pas toujours assez éloignée de ressembler au cynisme. On a remarqué aussi qu’il n’était pas très brave, surtout en amour, et qu’il cédait à ses rivaux les bonnes grâces des dames avec une promptitude, un empressement, une complaisance même qui ne laissent pas d’avoir quelques rapports