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commerce, aux corporations le droit de percevoir sur les navires des droits de quai, d’entrée ou de stationnement, dont le total sert à payer l’intérêt et l’amortissement des travaux entrepris. Prenons cette méthode, c’est la bonne. En France, nous sommes malheureusement poursuivis d’une double manie : celle de la gratuité et celle de l’égalité. Tout doit être gratuit ou presque gratuit, les ports, les écoles, les transports, bientôt le logement, le vêtement, etc. Quant à l’égalité, il faut qu’elle existe en tout, pour les choses comme pour les hommes ; la montagne aride et isolée doit avoir son chemin de fer à large voie tout comme la vallée, la plus riche et la mieux située ; toute mauvaise crique a le droit de se plaindre si on ne la traite pas comme Le Havre ou Marseille.

Pour restaurer nos finances, il faut deux mesures capitales : l’une est de supprimer complètement le budget extraordinaire, l’autre est de mettre un terme aux abusives influences parlementaires et électorales qui, en quatre années, ont accru de 400 millions environ les crédits ordinaires des administrations publiques. C’est ainsi que l’on a substitué des déficits de 150 à 200 millions aux excédens de 100 ou 120 millions de francs dont nous jouissions jusqu’à 1880 ; c’est ainsi qu’on a presque supprimé tout amortissement. Aujourd’hui les remèdes partiels et anodins sont insuffisans ; la conversion, qui a privé les rentiers de 34 millions, ne prêtera à nos budgets qu’un secours dérisoire si l’on ne recourt pas à beaucoup d’autres moyens qui demandent autant de résolution et plus de persévérance. La signature même des conventions avec les grandes compagnies de chemins de fer n’apportera qu’un allégement momentané et trompeur si l’on se borne là. Ce sont toutes nos idées administratives, toute notre conception générale du rôle de l’état et des communes, tous les procédés financiers suivis depuis cinq ans, qu’il faut définitivement abandonner. Il ne s’agit plus aujourd’hui de savoir quels dégrèvemens l’on fera ; nous sommes presque amenés à la question inverse : Quels impôts nouveaux établira-t-on ? Il est encore temps d’échapper à cette fâcheuse nécessité ; la France a des ressources qu’elle retrouvera grandissantes le jour où l’on aura renoncé au budget extraordinaire, à l’accroissement incessant des dépenses des administrations et au socialisme d’état. Le danger est dans les hésitations et les atermoiemens. C’est un régime sévère, une abstinence sérieuse qui peuvent seuls rétablir l’équilibre de nos budgets et éloigner d’un pays déjà écrasé d’impôts le fléau de taxes nouvelles.


PAUL LEROY-BEAULIEU.