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bleu, mais il ne voulut pas de lui pour Thionville. M. le Prince admira que son fils préférât ainsi un homme nouveau à un vieil ami et renvoya la demande du cordon bleu. « J’ai fait cette affaire sans remettre vos lettres, » écrivit-il sèchement. L’emploi de lieutenant de roi fut donné à La Plaine, capitaine dans Picardie ; cette fois le déboire fut pour M. le Duc, qui avait déjà mis en fonctions un officier de sa confiance, M. de Campels. Il ne put obtenir qu’on revint sur cette décision et ne fut pas plus heureux dans la distribution des charges laissées vacantes par la mort du marquis de Lenoncourt : d’Aumont et d’Andelot, qu’il avait présentés et qu’il espérait voir ainsi récompenser de leurs excellens services, échouèrent dans leurs prétentions ; Clermont, Nancy et la Lorraine furent données à La Ferté-Senneterre. Vamberg, colonel d’un régiment étranger, ayant été tué en duel, M. le Duc demanda sa succession pour La Moussaye, son ami intime : nouveau refus du cardinal[1]. Le duc d’Anguien ressentit vivement l’opposition de son père, le désappointement de ses amis, le mauvais vouloir latent du premier ministre : « Je croy que je n’ay plus affaire à l’armée, » écrivit-il à son père[2] dans un moment d’irritation.

Coïncidence singulière : au moment où le vainqueur de Rocroy exprimait ainsi son dépit, Turenne, découragé, s’adressait aussi à M. le Prince pour être tiré de l’Italie, où il n’avait rien à faire et « si peu de troupes qu’il n’est pas du service de Sa Majesté que je demeure plus longtemps comme cela[3]. » Il sentait qu’on le mettait quasi à l’index, et, en effet, il était alors soupçonné « de vouloir se faire considérer par le parti protestant comme un soleil naissant. » Mazarin n’avait pas les haines violentes ni les sévérités de Richelieu ; mais, moins sûr de lui-même et de son autorité, il était plus méfiant. Il voulait tenir les généraux en bride, surtout ceux qui étaient par eux-mêmes des personnes considérables, et il avait raison ; l’erreur était de chercher à restreindre l’influence des commandans d’armée en leur marchandant les moyens d’action. C’était ainsi qu’il était disposé à agir alors vis-à-vis de Turenne et, avec plus de mesure, moins ouvertement, vis-à-vis du duc d’Anguien. Ces procédés inspiraient au premier un ressentiment plus profond que les mouvemens de colère du second.

M. le Duc avait toujours payé largement pour les travaux, pour l’artillerie, enrôlant des ouvriers, accordant des hautes paies, n’épargnant rien pour soulager ses troupes et assurer le succès. Son père

  1. Mazarin à M. le Duc (4 septembre).
  2. 29 et 30 juillet.
  3. Trin, 11 août.