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vous promener au soleil ? » Elle me répondit : « Oh ! non, monsieurs pour aller à l’église. » Elles ne peuvent en effet aller à l’église, mai, l’église vient à elles. Chaque matin, à sept heures, les cloisons du dortoir glissent sur des galets de cuivre et découvrent la chapelle, d’où s’échappe un air frais qui s’approche des lits comme une caresse. Les dames résidentes sont à genoux, derrière elles sont les filles de service ; le prêtre est à l’autel, la clochette résonne et la basse messe est dite. Les malades se tournent dans leur lit, tendent leurs mains décharnées vers Celui que l’on invoque, et s’inclinent quand on élève l’hostie. Tout le cœur s’élance lorsque l’aumônier terminant la récitation de l’oraison dominicale, dit : Et libera nos a malo ! Et délivrez-nous du mal I Quelle ferveur en répondant : Ainsi soit-il ! Car, pour ces malheureuses, le mal est tangible et lancinant, il est si effroyable, si extrahumain, qu’il ne peut être que l’œuvre du maudit. C’est l’œuvre du diable, en effet ; les Orientaux le savent et leurs historiens le racontent. Il faut les écouter et apprendre d’eux où ce mal est né aux premières heures des légendes et pourquoi l’homme n’en est pas encore absous.

Zohak, le cinquième roi de la dynastie persane des Pischdadiens, le descendant du géant Caïumarath, qui fut un arbre avant d’être homme et de réduire la terre en servitude, était un roi méchant. Il se plaisait aux cruautés, et pour n’être jamais à court d’inventions malfaisantes, il se faisait aider par Éblis le Lapidé, qui est Satan. Lorsqu’au bout de plusieurs années, Zohak congédia Eblis, celui-ci lui demanda pour récompense de ses services la permission de lui baiser les épaules. Zohak y consentit, et à la place que venaient de toucher les lèvres réprouvées, deux ulcères apparurent où grouillaient des serpens qui lui mangeaient la chair. On assembla les savans de ce temps-là, et ils déclarèrent que le seul moyen de guérir le roi Zohak était d’appliquer chaque jour sur les plaies diaboliques la cervelle d’un homme récemment tué. On tua d’abord les prisonniers, puis les innocens ; on enleva des enfans pour les enfermer dans l’endroit où l’on gardait les malheureux réservés à l’honneur d’être utilisés par la thérapeutique royale. On vola les fils d’un forgeron d’Ispahan, qui se nommait Gao. Il mit son tablier de cuir au bout d’une perche, sortit en criant : « Aux armes ! » souleva le peuple, réunit une troupe de mécontens ; à la tête des révoltés, il se rendit auprès de Féridoun, fils d’Alkian, petit-fils de Giamschid, et le proclama roi. Zohak fut vaincu, le jour même de l’équinoxe d’automne et enfermé dans une des cavernes de la montagne de Dama-vend. Il n’était point guéri, parce qu’on l’avait trompé et qu’on lui avait fourni des médicamens inférieurs. En effet, les apothicaires chargés de massacrer des hommes et de préparer les cervelles humaines laissaient, par pitié, les portes de leur laboratoire ouvertes