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le dortoir, où vingt lits entourés de rideaux de cotonnade reçoivent les incurables ; une ou deux chambres particulières sont réservées pour des enfans malades que l’on a recueillis dans, le quartier. De plain-pied avec le dortoir, la chapelle, froide et nue comme toutes les constructions trop neuves ; aux murailles, les tableaux d’un chemin de croix. Un escalier, accosté d’une pente douce munie de rails sur lesquels peut glisser un cercueil, conduit à la salle mortuaire, où sont déposées les pauvres femmes enfin délivrées de leur supplice. Là, mieux que dans les hôpitaux, on respecte les cadavres ; on ne les couche pas sur la dalle de pierre ou sur la planche de chêne ; on les étend sur un lit garni de matelas ; ils y restent exposés et entourés de prières jusqu’au moment où le couvercle de la bière se referme sur eux.

En pénétrant au second étage, on comprend que l’hospice compte s’agrandir et offrir plus de place aux malades. Là, en effet, tout est provisoire ; les cloisons du corridor central et des chambres sont en bois ; il suffira d’un coup de marteau pour les démonter, et alors on aura un second dortoir ample et très éclairé. Actuellement, et en attendant des ressources nouvelles, cet étage est réservé au logement des dames résidentes, que l’on pourrait aussi bien nommer les dames pensionnaires, car non-seulement elles soignent les cancérées, dirigent l’approvisionnement, veillent à la lingerie, à la buanderie, à la confection des bandes et des compresses, sonnent la cloche du réveil, tiennent les comptes, font les correspondances, passent les marchés avec les fournisseurs, assistent les malades à leur dernier moment, les lavent, les ensevelissent, les accompagnent à la chapelle, mais elles paient pension comme des voyageuses de la bienfaisance descendues au grand hôtel de la charité. Jamais nulle rétribution, d’aucune sorte, n’est réclamée aux malades, mais les infirmières paient le droit de vivre à leur côté et de se lever la nuit pour leur porter secours. Les chambres sont gaies et vivantes ; elles n’ont rien de la régularité morne qui parfois est si pénible à contempler dans « la clôture » des communautés religieuses.

Chacune des dames résidentes s’est meublée à sa guise ; le lit est en acajou et muni d’une bonne literie où le sommeil peut réparer les forces épuisées ; il y a des rideaux drapés, des tables couvertes ; de ces gracieux ustensiles dont les femmes aiment à se servir ; dès portraits sont pendus aux murailles et maintiennent en permanence le souvenir des absens ; des gants jetés sur un guéridon, un chapeau de dentelles noires accroché à une patère, un vague parfum d’iris ou de verveine rendent plus éclatant encore le contraste qui s’accuse entre des habitudes élégantes et une