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ministre résident à Cassel près de la landgrave, aux généraux hessois qui étaient cantonnés en Westphalie, aux Suédois qui étaient encore plus loin ; on demandait à nos alliés d’observer les diverses armées ennemies, de les occuper, de les empêcher de se réunir. L’artillerie était insuffisante ; Guébriant avait espéré recevoir un parc qui n’était pas venu, Saint-Martin, lieutenant de l’artillerie détaché près de M. le Duc, n’ayant pas trouvé à Metz les ressources nécessaires ; cette lacune fut, avec l’envoi de Rantzau comme lieutenant-général, le grand mécompte de Guébriant. Cependant il ne perdit pas courage ; son obstination de Breton, sa hardiesse de capitaine, ne connaissaient pas d’obstacles. La saison était chaque jour plus défavorable : les pluies devenaient abondantes et froides dans la plaine ; les cimes se couvraient de neige ; mais si les intempéries lui créaient des difficultés, elles arrêteraient aussi les ennemis ; ses troupes ne souffriraient pas plus que l’hiver précédent, et alors elles avaient résisté. Les ennemis avaient plus de monde, mais ils étaient loin ; d’ailleurs, on ne pouvait ni rester en Alsace, ni abandonner cette province, ni s’arrêter sur la rive droite du Rhin pour recevoir un choc, le dos au fleuve. Il fallait traverser la Forêt-Noire et aller attendre le printemps entre le haut Danube et le lac de Constance. Le pont que Guébriant avait ordonné de construire s’achevait[1] ; les troupes étaient réunies ; l’argent manquait encore ; dès que les banquiers de Bâle eurent fait honneur aux traites envoyées de Paris, le passage commença et, la lune aidant, il fut achevé en trente-six heures. (30 octobre et 1er novembre.)

La veille, M. le Duc était venu à Ernstein souper au logis de Rantzau et coucher au quartier de Guébriant, avec lequel il s’était mis entièrement d’accord, et qu’il avait assisté, avec autant de tact que de dévoûment, lui donnant tout ce qu’il pouvait sans intervenir dans le maniement de ses forces, sans entraver sa liberté d’action. Il vit défiler l’armée refondue, portée maintenant à plus de douze mille hommes, et l’accompagna sur la rive gauche jusqu’à Ottenheim. Là, il embrassa pour la dernière fois le vaillant général qu’il ne devait plus revoir, et le laissa se dirigeant sur le débouché de la Kinsig. Puis il acheva sa tournée et, traversant les Vosges entre Sainte-Marie-aux-Mines et Saint-Dié, s’arrêta à Neufchâteau pour régler la mise en quartiers du reste de ses troupes ; il rentra dans Paris le 15 novembre.

  1. Le pont par lequel Guébriant était revenu de la rive droite à la rive gauche aboutissait en Alsace à Rheinau, à 10 kilomètres sud-est de Benfeld. Guébriant le fit amener plus bas, en face d’Ottenheim (pays de Bade), beaucoup plus près, d’un côté du quartier-général d’Ernstein, et de l’autre, du débouché de la Kinsig.