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fois, monsieur, de me faire avoir mon congé, vous protestant et jurant en foy d’homme de bien que, hors la disgrâce du roy, mon maître, je préfère, non-seulement la Bastille, mais la mort même à demeurer plus longtemps icy, où je ne puis attendre qu’une perte entière de ma réputation, que je cherche à établir depuis vingt ans sans avoir jamais épargné ny mon sang ny ma vie[1]. »

Et cependant il restait et il marchait, et il continuait de se battre, de passer des hivers dans la neige et dans la boue, de lutter avec ces égoïstes, de soutenir ces découragés. Il vécut ainsi sept ans (1637 à 1643) sans revoir la France, sa famille, son cher pays de - Saint-Brieuc, sans prendre aucun congé. Lorsqu’enfin, à bout de forces, au printemps de 1643, il demanda avec de nouvelles instances quelques jours de repos, le roi le retint à son poste, mais autorisa la maréchale à l’aller visiter au milieu de son armée. Guébriant courut au-devant de sa femme avec un empressement juvénile, la reçut aux limites de son commandement, dans les Vosges, la conduisit à Brisach, l’y fêta de son mieux. Ce fut comme un rayon lumineux dans le ciel sombre de ce brave homme ; mais ce ne fut qu’un éclair ; il fallut se séparer au bout de peu de jours : Guébriant avait reçu l’ordre de manœuvrer pour couvrir le siège de Thionville. La maréchale reprit le chemin de Paris et son mari marcha vers le lac de Constance.


XX. — CAMPAGNE DE GUEBRIANT EN 1643, SES RELATIONS AVEC LE DUC D’ANGUIEN.

Le jour même (8 juin 1643) où Mazarin, cédant aux instances du duc d’Anguien, avait fait expédier au marquis de Gesvres l’ordre définitif d’investir Thionville, le roi avait écrit au général de ses armées d’Allemagne pour l’informer de cette résolution et l’inviter « à en favoriser le succès. » Par une remarquable coïncidence, le vainqueur de Rocroy, rentrant, sans le savoir, dans l’ordre des idées que Guébriant développait deux mois plus tôt, allait aborder par la conclusion le plan qui, expédié le 20 mars de Waldkirch, était déjà enfoui dans les cartons du ministère, oublié des uns, ignoré des autres. La lettre du roi n’était pas encore arrivée au quartier-général de Waldshut que déjà on y connaissait la marche de l’armée de Picardie vers la Moselle[2], et Guébriant avait commencé à

  1. Guébriant au secrétaire d’état De Noyers, 4 août-24 septembre 1641, ap. Le Laboureur.
  2. La lettre du roi, du 8 juin, fut portée par Montausier et remise le 22 à Guébriant, qui, la veille, avait reçu une lettre du 16, où le sieur La Plaine, écrivant au nom du duc d’Anguien, annonçait la marche sur Thionville.