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parvint à ne pas rompre avec lui, mais ne put jamais l’amener à une action commune. Que faire alors avec un fantôme d’armée ?

A Kempen, le maréchal avait dix-huit mille hommes et à Wolfenbüttel presque le double. Mais quand les Suédois s’éloignent, retournent en Poméranie ou manœuvrent en Bohême, quand les Hessois se reposent ou que le duc de Lunebourg retire ses troupes, quand les marches ont été longues, la saison rude, les combats sanglans, l’effectif tombe à douze, dix et jusqu’à huit mille hommes. C’est à ce dernier chiffre qu’en était Guébriant, lorsque Torstenson le laissa seul en Thuringe. Il fallut abandonner les entreprises pour se rapprocher de Brisach et retourner vers le Brisgau, tout en manœuvrant pour occuper l’ennemi. La petite armée repassa le Main, fit une pause sur le Tauber, une autre sur le Neckar, puis, serrée par les Bavarois et les Lorrains, descendit dans le val de la Kinsig ; l’ennemi disparut. On était en plein hiver ; les souffrances furent cruelles ; c’est au commencement de mars (1643) que Guébriant s’arrêta à Waldkirch, près de Fribourg.

Le climat, les manœuvres de l’ennemi, la désertion des alliés n’étaient pas les seuls obstacles contre lesquels il eut à lutter, sa propre armée était une source d’embarras continuels. Les Weymariens se battaient bien, mais quelle façon de servir ! D’abord, là où ils passaient, c’était le feu du ciel ; la Franche-Comté ne les a pas oubliés : on dit encore « l’année des Suédois » pour rappeler le temps où le duc Bernard traversa cette province. A chaque instant, les « directeurs » ou les officiers mettent le marché à la main : c’est Rosen qui réclame une augmentation de pension ; Oheim, qui trouve injuste que Taubadel, son cadet, soit mieux traité que lui ; Taubadel, qui se plaint d’avoir reçu une nouvelle qualité « sans gages ; » Schmittberg, qui se déclare trop pauvre pour soutenir l’honneur de la charge de général-major d’infanterie ; le duc George de Wurtemberg (un des meilleurs et des plus modestes), qui prie le roi d’avoir égard « à sa grande incommodité ; » ce sont les ritmestres qui réclament avec hauteur le remboursement des avances par eux faites aux reîtres pour épées, pistolets, bottes, éperons, manteaux, etc. ; tous accompagnant leurs réclamations de la menace d’un départ immédiat si elles ne sont pas accueillies ; sans parler des menées, des complots de ceux qui veulent vendre l’armée à l’empereur, des tentatives d’embauchage faites par les agens du doge de Venise. A chaque instant, l’édifice si patiemment élevé, si souvent étayé, menaçait de s’écrouler.

Le petit corps purement français qui, avec les Weymariens, formait l’armée du roi, donnait moins d’embarras. Il y avait là de bonnes troupes, le régiment de Montausier, par exemple, ceux de