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Brisgau, le Sündgau, la Haute-Alsace, les places des Vosges, Bernard comptait bien ne pas se borner à servir la cause protestante ou à tenir ses engagemens envers le roi de France. Il croyait être sûr de travailler pour lui-même, soit qu’il réussît à s’approprier tout ou partie de ses conquêtes, soit qu’il y trouvât les élémens d’un échange pour aller fonder un état en Thuringe, près du berceau de sa famille.

Au mois de juillet 1639, il tomba malade en Franche-Comté ; ce fut une grande crise : s’il survivait, il gardait l’Alsace, pour lui d’abord, peut-être pour l’empire, certes pas pour la France ; s’il mourait, que de compétiteurs se disputeraient sa succession ! Le plus redoutable était le Palatin, dépouillé de ses états par l’Autriche, soutenu par l’Angleterre, par la Suède, avec les vœux secrets des autres puissances. Richelieu le fit arrêter comme il traversait la France, dans un incognito mal gardé ; ce fut un coup de maître ; l’habileté, la fermeté du comte de Guébriant et un grand sacrifice d’argent firent le reste. Bernard ne put atteindre Brisach et mourut à Neuenbourg[1]. La France recueillit l’héritage de l’illustre condottiere, une armée et deux places, Saverne et Brisach, les clés de l’Alsace.

Jean-Baptiste Budes de Guébriant, né en 1602 dans un modeste castel du diocèse de Saint-Brieuc, appartenait à une famille moins riche que noble : le plus clair de son héritage était sa parenté avec Du Guesclin. Il avait fait de bonnes études au collège de La Flèche, écrivait le français avec une pureté remarquable et savait assez de latin pour suivre une négociation dans cette langue. Simple soldat en Hollande, il fit deux années d’apprentissage militaire sous les maîtres de la tactique. A peine de retour, il sert un de ses amis qui se battait en duel, et le voilà forcé de quitter encore la France. On le laissa rentrer dans notre armée d’Italie ; il eut une compagnie au régiment de Piémont, puis fut admis aux gardes ; mais Paris ne le vit guère. Sauf pendant quelques mois après son mariage, il vécut toujours aux armées, surtout aux armées lointaines. Sa première action d’éclat fut en 1636, « l’année de Corbie, » au milieu d’une panique générale. Il arrivait d’Allemagne, se jeta dans Guise, qu’il sauva, et battit un parti espagnol près de La Capelle. Le roi le fit maréchal de camp et le renvoya en Valteline, sous le duc de Rohan ; c’était une bonne école, mais un service pénible et peu recherché.

De là, Guébriant ramena nos troupes (une poignée d’hommes) et joignit le duc Bernard, qui ne voulut plus se séparer de lui. Il eut

  1. Sur la rive droite du Rhin, à quelques lieues au sud de Vieux-Brisach.