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l’accord entre lui et les Suédois ; ceux-ci avaient laissé sur le terrain seize mille morts et quatre-vingts canons ; il est rare que la bonne intelligence entre alliés survive à un pareil désastre. Bernard fut accusé d’avoir fait donner et mal donner cette grande bataille perdue[1]. Il n’attendait qu’un prétexte pour recouvrer son indépendance ; le premier usage qu’il en fit fut de se vendre à la France (1635). Ce n’était pas tout à fait une désertion ; en se séparant de l’armée suédoise, il ne devenait pas l’ennemi de la couronne de Suède. Sans doute il emmenait plus de troupes qu’il n’en avait levé (douze mille fantassins et six mille chevaux, payés 4 millions par an) ; mais le noyau était bien à lui. Animé de la haine des Hapsbourg, tout en conservant un vague attachement à l’empire, il était résolu à reconstituer sur sa personne la grandeur de sa maison spoliée, et malgré les traités, les engagemens pris durant son voyage à Paris, il ne se livra jamais complètement. Depuis le jour où il entra au service de Louis XIII, il ne sortit guère d’un échiquier restreint, manœuvrant, prenant des places en Lorraine, en Franche-Comté, sur les deux rives du Rhin entre les Vosges et la Forêt-Noire. Nous ne voulons pas égarer le lecteur dans le dédale de cette période de la guerre de trente ans ; mais, sans essayer de démêler l’écheveau de ces opérations militaires si confuses, nous en marquerons les caractères principaux. Les mouvemens des armées qui ont parcouru les provinces germaniques entre la mort du roi Gustave et l’arrivée au premier plan des capitaines désintéressés, Guébriant, Mercy, Turenne, ne sauraient s’expliquer par des raisons purement stratégiques ou politiques ; princes ou généraux d’aventure obéissaient le plus souvent à deux mobiles plus puissans que les intérêts de leur cause : la nécessité des subsistances, les arrière-pensées personnelles. Il fallait vivre avant tout, chercher des recoins oubliés par les dévastateurs qui se succédaient depuis si longtemps dans ces malheureuses contrées ; en essayant de ménager ses amis et alliés, on évitait surtout les pays qu’une armée, amie ou ennemie, venait de quitter ; ils étaient épuisés pour longtemps. Puis venaient les visées particulières ; chacun de ces condottieri, qu’il soit grand ou médiocre, a une couronne à prendre ou à retrouver, un grand fief à gagner, un domaine à rétablir. En s’appliquant à conquérir solidement le

  1. Les Français donnent le nom de Nördlingen (qu’ils prononcent Norlingue), à la bataille gagnée par le duc d’Anguien en 1045, et que les écrivains allemands appellent avec raison la bataille d’Allerheim (voir liv. IV, chap. III.) La bataille du 6 septembre 1634, fut livrée près de Nördlingen, que les Austro-Espagnols assiégeaient et que les Suédois voulaient secourir ; ce fut une des journées les plus sanglantes et les plus considérables de la guerre de trente ans ; sans l’appui moral et matériel de la France, les vaincus n’auraient jamais pu se relever d’un tel désastre.