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souscrits il y a douze ans pour payer la rançon de guerre et libérer le territoire. Le gouvernement a proposé, la chambre des députés et le sénat ont discuté, même vivement et savamment discuté, puis on a voté la conversion. Le résultat est pour le trésor le bénéfice annuel d’une somme qui peut s’élever à 33 où 34 millions. Fort bien ! Le fait est maintenant accompli sans qu’il y ait à y revenir. Il reste néanmoins avec sa signification, avec le caractère qu’il reçoit des circonstances, et c’est précisément à l’occasion de cette conversion de la rente qu’on peut le mieux voir comment une mesure légitime, rationnelle, peut par suite d’une mauvaise politique perdre de son prix et de son efficacité. Sans doute la légalité de la conversion n’a point été sérieusement mise en question ; elle a pu être contestée autrefois, elle ne l’est plus depuis longtemps. Malgré la nature spéciale de la rente, l’état garde, comme tout débiteur, le droit de se libérer envers ses créanciers ou de leur offrir un renouvellement de contrat dans des conditions moins onéreuses. De plus, c’est encore un point hors de toute contestation, la conversion n’a rien d’inattendu et d’insolite ; elle avait été prévue le jour même où l’état, ayant à ouvrir d’immenses emprunts, choisissait le 5 pour 100 justement parce qu’il lui laissait pour l’avenir la facilité d’améliorer par degrés les conditions d’une dette contractée sous le poids de nécessités inexorables. Les souscripteurs des emprunts, les porteurs de la rente le savaient, ils avaient été prévenus ; ils ne pouvaient avoir de doute que sur le moment. La conversion n’est donc par elle-même ni une violation de légalité ni une surprise, c’est entendu ; mais il est bien clair qu’une opération semblable, pour garder son autorité et son efficacité, ne peut s’accomplir que dans des circonstances favorables et à des conditions qui lui laissent le caractère d’un allégement des charges publiques. Elle a sa raison d’être quand l’équilibre est dans les finances, quand les affaires industrielles et commerciales sont en plein essor, quand l’état peut profiter de l’abondance de ses ressources, de l’élévation de son crédit pour diminuer sa dette. Elle peut se légitimer encore par l’emploi prévoyant, fructueux de la somme qu’on obtient ainsi, et c’est ce qu’avaient prévu tous ceux qui affectaient d’avance les bénéfices de la conversion à l’agriculture. C’est la pensée que M. Léon Say exprimait il y a quelques semaines à Lyon en disant : « Le jour où l’importante opération de la conversion pourra se réaliser, il ne faudrait pas s’en servir comme d’un expédient pour équilibrer le budget ou le gaspiller dans des crédits supplémentaires, il faudra tenir la parole que nous avons donnée à l’agriculture. » C’est ce que le ministre des finances du cabinet du 14 novembre, M. Allain-Targé, disait, il y a quelques mois ; « Le dégrèvement agricole, c’est la conversion ! »

Voilà qui est clair ! Lorsque la conversion, au lieu de se produire dans un certain état de prospérité ou d’aisance financière, comme cela