Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tuer ! — Son rival ? — Le duc de Hautmont, qui paie les dettes de mon père et que j’épouse. — Le duel — Le voici. — Laisse-nous ; je vais le recevoir, et je vous sauverai. »

Le duc paraît et se trouve en face de Thérèse : « Vous ! — Moi ! Que me voulez-vous ? — Je veux que vous cessiez d’être le rival de mon fils, du vôtre… — Martial, mon fils ! — Oui, votre fils ! Et mon châtiment, c’est que je doive vous le dire aujourd’hui et que vous ne me croyiez pas… » En effet, le duc ne peut s’empêcher de réfléchir que vingt-quatre ans ont passé avant qu’on lui révélât cette paternité douteuse, et qu’à l’heure où la mère la lui déclare, elle a grand intérêt à ce qu’il y croie. Et par les brèves répliques échangées dans cet assaut de souvenirs, nous devinons l’histoire de ces coupables amours. Thérèse et le duc, jadis, s’étaient promis l’un à d’autre et n’avaient pu s’épouser ; on avait donné Thérèse à Pierre, et le duc l’avait rencontrée, à peine mariée, pendant un voyage de son mari. Elle s’était jetée dans ses bras ; un jour, après quelques semaines adultères, elle s’était sentie mère, elle s’était enfuie. « Comment alors, s’écrie le duc, ne me dites-vous pas pourquoi vous partiez ? — Hé ! si je vous l’avais dit, répond-elle, je ne serais jamais partie. » Son mari est revenu. ; elle n’a pas eu le courage d’avouer sa faute ; elle a laissé Pierre Cambry recevoir pour son fils, élever, aimer comme le fruit de sa chair et l’héritier de son âme le fils de Jacques de Hautmont. Pendant vingt-quatre ans elle a dévoré son repentir ; et combien amer ! Combien de lois n’a-t-elle pas failli le cracher en aveu ! Car pendant ces longues années, elle s’est prise à aimer son mari ; à l’aimer d’un amour craintif, humble, ardent, fanatique ; d’un amour qu’exaspérait sans bruit la cuisson du remords. Et maintenant, après ce long supplice, après que tant de fois elle s’est rongé la langue avec ses dents pour ne pas achever le baiser commencé en confession suppliante, voici que ce châtiment se dresse devant elle, la rivalité de l’amant et de l’enfant : le père et le fils vont s’entretuer ! Non, Jacques de Hautmont ne voudra pas ce crime, il fuira ce sacrilège ; il laissera Espérance à Martial, et d’abord il évitera la colère du jeune homme… Mais le duc de Hautmont secoue la tête ; il taxe de pieux mensonge tout le discours de cette mère ; il décime les charges de cette paternité Importune ; il aime Espérance, il sauve son père, il sait qu’elle l’accepte, cela lui suffit. Il ne croit pas que le fils de Thérèse mourra de son amour : est-il mort autrefois lui-même de son amour pour Thérèse ? Martial est un enfant, qui se consolera ; lui est un homme, qui veut maintenir ses droits d’homme et ne pas s’embarrasser d’un prétendu devoir de père : « Gardez votre entant ; moi, je garde ma fiancée. »

Une telle scène est pénible et pèsera sur tout le drame.