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des hommes, sut maîtriser le chagrin qu’il éprouvait, accepta avec bonne humeur la situation nouvelle qu’un accident avait créée et s’occupa d’y pourvoir avec le même entrain qu’il avait apporté le 19 mai à réparer le désastre de La Ferté. Il se mit à tracer ses lignes, à établir ses quartiers, à rassembler ses moyens, à régler la marche de ses convois, et le 22, il écrivait à son père : « Nous sommes icy, à mon advis, en meilleur estat que vous ne pouvez vous l’imaginer. »

Son état-major, qu’il avait eu tant de peine à constituer à Amiens, était devenu non-seulement suffisant, mais excessif. Deux mois plus tôt, ceux qui croyaient le plus à son étoile, comme d’Aumont et d’Andelot, n’avaient guère montré d’empressement à le rejoindre. Aujourd’hui, c’est à qui sera de l’armée de M. le Duc. Il avait quatre officiers-généraux à sa disposition sur le champ de bataille de Rocroy ; il en eut jusqu’à onze pendant le siège de Thionville : le duc d’An-goulême, lieutenant-général détaché sur les frontières de Picardie ; les maréchaux de camp Gassion, Espenan, Gesvres, Sirot, que nous connaissons, Grancey[1] et Palluau[2], qui deviendront tous les deux maréchaux de France, Quincé, détaché auprès du duc d’Angoulême ; d’Andelot[3], destiné à disparaître dans une des escarmouches de la Fronde, brave jusqu’à la témérité, fier de son grand nom de Châtillon, rêvant de sortir du rôle effacé qu’avait accepté son père, mais ayant moins de génie que d’ambition, en ce moment admirateur passionné de la belle Bouteville, qu’il épousera avec l’appui plus ou moins désintéressé de son jeune général ; d’Aumont, aussi brillant, plus complet, homme d’esprit, très entendu au métier, aimé et apprécié du duc d’Anguien, destiné à dépasser tous ceux que nous venons de nommer si la guerre ne l’avait prématurément dévoré[4] ; Arnauld, solide et tenace, de cette forte race de jansénistes dont nous avons déjà parlé[5] ; la plupart, on le voit,

  1. Jacques Rouxel, comte de Grancey et de Médavy, né en 1603, d’abord destiné à l’église et tonsuré à neuf ans, capitaine de chevau-légers à seize ans, blessé au siège de Saverne en 1636 et fait maréchal de camp la même année, maréchal de France en 1651, mort en 1680.
  2. Philippe de Clérembault, comte de Palluau, né en 1606, maréchal de camp en 1642, maréchal de France en 1653, mort en 1665.
  3. Gaspard IV de Coligny, arrière-petit-fils de l’amiral, né en 1620, venait d’être nommé maréchal de camp. Il se fit catholique, épousa en 1645 Isabelle-Angélique de Montmorency-Bouteville, quitta le nom de marquis d’Andelot pour prendre celui de duc de Châtillon à la mort de son père le maréchal (1646), et fut tué au pont de Charenton en 1649.
  4. Charles, marquis d’Aumont, né en 1606, tué en 1644, petit-fils et frère de maréchaux de France.
  5. Pierre Arnauld de Corbeville, dit Arnauld le Carabin, était mestre de camp général des carabins sur la démission de son oncle Pierre Arnauld « du fort. » Il mourut en 1651.