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portait pas bonheur à Grancey : la bataille de 1639 lui avait déjà valu un séjour à la Bastille, le roi ayant trouvé « qu’il n’avait pas su maintenir ses cavaliers dans le devoir, » et si, en 1643, il avait eu affaire à un chef moins généreux, sa maladresse ou sa malchance aurait pu encore cette fois lui coûter cher ; mais M. le Duc ne le chargea pas. Cette longanimité ne plut pas à l’esprit positif de M. le Prince : « Si par les lettres de quelques valets je n’avais pas appris qu’il est entré cinq cents hommes par le quartier de M. de Grancey, je ne sçaurois que les mots graves de la vostre contenant secours de quelque infanterie. Mon fils devoit l’avoir escrit et mettre la faute sur quy elle est[1]. »

C’est encore au comte d’Isembourg, à celui qui nous avait si longtemps disputé la plaine de Rocroy, que le roi d’Espagne devait ce nouveau service. Aux premiers indices d’une marche des Français vers la Moselle, ce vaillant officier avait quitté Charlemont et, encore presque mourant de ses blessures, s’était fait transporter à Namur, dont il était gouverneur, et d’où il fit partir aussitôt pour Luxembourg quelques compagnies d’infanterie wallonne échappées au désastre du 19 mai. Beck, renvoyé un peu plus tard en poste par Melo, put joindre à ce groupe un peu d’infanterie allemande, quelques chevau-légers et des Croates ; le 18, le détachement passa la Moselle sur un pont de bateaux, s’arrêta un moment à Sierck, et se dérobant aux patrouilles françaises, entra le 19 au matin dans l’avancée de Thionville sur la rive droite. La garnison atteignait le chiffre de deux mille cinq cents hommes environ, en comptant les habitans aptes à porter les armes, et recevait un contingent important de cavalerie. Les défenses de la place reprenaient ainsi toute leur valeur ; les conditions du siège étaient changées ; il fallait renoncer aux procédés expéditifs, se résigner à une attaque méthodique, rassembler de grands moyens, s’attendre à une résistance longuement prolongée. Le siège de Thionville qui, dans la pensée du duc d’Anguien, aurait été le point de départ d’une série d’opérations, devait maintenant occuper toute la belle saison. Le récit d’un espion, des postes mal placés, quelques patrouilles égarées suffirent pour modifier profondément les résultats qu’on pouvait attendre de la campagne de 1643.


XIV. — L ETAT-MAJOR, LES TROUPES ET LES LIGNES.

Ce qui est digne de remarque, c’est que le duc d’Anguien, si emporté devant les résistances de la cour, les retards, les contradictions

  1. M. le Prince à M. Girard, 24 juin.