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aux monarchies nos voisines que deux empereurs et un roi viennent de décider en commun qu’il ne faudrait pas inventer la république française, si elle n’existait pas, mais que, puisqu’elle existe, le mieux est de s’appliquer à la conserver, crainte de pis.

Oui, les temps sont bien changés, et il y a de bonnes raisons pour que la république française ne soit plus un objet d’horreur pour ses voisins. Partout le droit divin a transigé avec les peuples. Nous sommes entourés de monarchies plus ou moins libérales, plus ou moins parlementaires, et quoique la somme de libertés qu’elles accordent à leurs sujets ne paraisse pas suffisante à tout le monde, les mécontens eux- mêmes, pour peu qu’ils aient de bon sens, sont obligés de convenir qu’il n’y a rien d’irréparable dans les maux dont ils se plaignent, que, sans recourir aux moyens violens, ils unirent par obtenir justice à force de plaider. Il s’ensuit que, monarchie ou république, la forme de gouvernement n’est plus une question de principes, mais une affaire de goût. Les uns estiment qu’un souverain est un article de luxe, une coûteuse inutilité ; les autres jugent qu’un état sans souverain manque d’autorité et de prestige. C’est une querelle qu’on peut vider sans se dire d’injures et sans aller sur le terrain. Au surplus, les conventionnels, les jacobins d’autrefois joignaient la passion de la grandeur nationale à l’esprit de propagande, ils brûlaient du désir de répandre à la fois sur le monde la France et leur idée. Les radicaux avancés, qui se considèrent comme leurs héritiers, leur ressemblent bien peu à cet égard ; ils sont de tous les partis qui nous divisent le moins soucieux de notre grandeur, de l’influence que nous pouvons exercer au dehors. Qu’on leur permette de supprimer le sénat et la présidence de la république, le reste n’est, à leurs yeux, qu’un détail insignifiant ou une vaine superstition. Quant aux partis plus avancés encore, ils aspirent à transformer la république en une confédération libre de communes ; leur rêve est de supprimer la France. Un tel projet est de nature à ne point déplaire à nos ennemis.

Quand nous disons que deux empereurs et un roi se sont entendus pour protéger au besoin les institutions républicaines contre nos repentirs, nous ne faisons que répéter ce qu’a dit le journal officieux de Berlin. Les explications qu’il a fournies au sujet de la triple alliance pouvaient se résumer ainsi : « Tels que vous êtes, vous nous semblez inoffensifs ; mais le jour où vous vous permettrez d’être autre chose, nous aviserons et nous prenons des aujourd’hui nos précautions. » L’article dont nous parlons et qui a fait du bruit dans le monde était écrit d’un style bourru, médiocrement aimable ; cela ressemblait à une signification par voie d’huissier. Mais il ne faut pas attacher en pareille matière trop d’importance aux questions de forme. Les rédacteurs habituels de ce journal ne se piquent point de sacrifier aux grâces, et quand ils transmettent à l’univers les messages du chancelier de l’empire