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l’approvisionnement en blés considérable ; un moulin retranché établi près du fossé du front sud et desservi par un bras de la Fensche assurait le service de la mouture ; tout le fourrage des environs ayant été rentré, les chevaux purent être maintenus assez longtemps en bonne condition.

Si Thionville avait été mis en état avec une prévoyance qui était dans les habitudes des autorités espagnoles, la garnison était insuffisante. Elle avait été réduite à huit cents hommes, résidu de divers corps, Melo ayant, dans son désarroi, appelé à lui presque tous les combattans valides dont il pouvait disposer. La faiblesse du chiffre ne pouvait être exactement appréciée de l’état-major français ; mais le fait était connu. C'est ce qui avait décidé le duc d’Anguien à se hâter, c'est ce qui lui avait fait si vivement regretter les retards apportés aux premiers mouvemens du marquis de Gesvres. Puisqu’il avait eu l’habileté et la bonne fortune d’amener son adversaire à faire refluer sur le Brabant et le Hainaut toutes les forces espagnoles, il ne fallait pas laisser le temps à Beck de ramener à Luxembourg ses troupes, qu’il avait conduites vers Mons et Bruxelles, et de jeter un secours important dans Thionville.

Aucun ennemi extérieur n'avait paru lorsque dans l’après-midi du 18 juin, le général en chef rejoignit son lieutenant sous les murs de la place ; nul mouvement dans la ville ; rien n'y était entré ; tout était tranquille dedans et dehors. C'était un grand point gagné ; il était urgent d’assurer ce premier avantage ; car M. le Duc se doutait bien que maintenant sa marche avait dû être éventée, son dessein pénétré, et que l’ennemi s’avançait à tire-d’aile afin d’y pourvoir. Dans le dispositif donné à l’avant-garde, Gesvres n'avait pu s’occuper de la rive droite, où aboutissait le chemin de Sierck, et où les communications avec la place étaient, nous l’avons vu, assurées par un ouvrage. Un gué fut reconnu, quelques bateaux rassemblés, et le soir même du 18, M. de Grancey était poussé par-delà l’eau avec un gros détachement d’infanterie et de cavalerie. Anguien avait désigné ce maréchal de camp parce qu’il connaissait les lieux, ayant servi au dernier siège de Thionville ; il lui recommanda la plus stricte vigilance. Lui-même resta à cheval et tint ses troupes sous les armes toute la nuit, faisant face à Luxembourg, au côté le plus menacé ; son instinct militaire lui disait que l’ennemi était proche. La nuit fut calme sur la rive gauche, et le jour étant survenu, M. le Duc allait séparer ses quartiers et donner quelque repos à son armée, lorsqu’il apprit que le malheureux Grancey, joué par deux paysans ou prétendus paysans, s’était porté au-devant d’un corps imaginaire, tandis que le secours, cheminant à travers bois et collines, entrait sans pertes dans la place. Décidément le lieu ne