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que d’inspiration. Ses traductions rappellent Delille, ses Discours en vers font penser à Voltaire, ses Satires pourraient être de Gilbert, ses Odes enfin ressemblent à celles de Jean -Baptiste Rousseau ; et si l’on en fait la comparaison avec les Méditations, qui paraissent en 1820, rien qui soit encore moins pénétré du lyrisme moderne, c’est-à-dire qui soit plus extérieur, plus impersonnel à son auteur. S’il y a là quelque chose de nouveau, ce n’est que ce que j’appellerai la connaissance infuse du doigté de la prosodie, et chez un enfant qui ne fait que sortir du collège, une richesse de rimes et une habileté à conduire la période qui sont déjà toutes voisines de la perfection de l’art d’écrire en vers. Le virtuose est admirable ; et l’on sent que quelque nouveauté qui vienne à surgir, il suffira qu’il veuille bien s’en emparer pour y exceller aussitôt par-dessus tous ceux mêmes qui l’auront inventée, mais évidemment il est classique, dans le sens étroit qu’avait alors le mot, absolument classique, et, si ce n’est par l’ardeur de son royalisme, — nullement romantique.

C’est un autre service, à ce propos, dont on ne saurait trop remercier M. Biré, que d’avoir été rechercher dans le Conservateur littéraire les articles de critique du poète, pour y retrouver sous leur forme didactique les principes généraux dont ses premières pièces n’avaient été que l’inconsciente application. Le Conservateur littéraire était un journal fondé par Victor Hugo lui-même, avec le concours de quelques amis, mais dont il fut, en réalité, de 1819 à 1821, le principal et souvent l’unique rédacteur. Sous le titre de Littérature et Philosophie mêlées, il a réuni, en 1834, quelques-uns des articles qu’il y avait publiés, — ou plutôt quelques fragmens de quelques-uns de ces articles, — mais en y faisant, pour la forme et surtout pour le fond, de si importantes modifications qu’il était absolument nécessaire qu’un chercheur patient recourût au texte primitif et le collationnât une bonne fois avec celui qui figure dans les Œuvres. Si par hasard quelques poètes, orgueilleux et naïfs, croyaient encore, selon le mot célèbre, que les Victor Hugo ne reviennent pas sur leur œuvre et ne corrigent les fautes qu’ils peuvent avoir laissées s’échapper dans une ode qu’en en composant une autre, on ne saurait trop les engager à se défaire d’une idée si fausse, en se donnant le spectacle instructif de ce que quinze ans de temps, — grande mortalis ævi spatium, — peuvent apporter de changemens dans le style et les convictions d’un homme. Dans sa publication de 1834, tout en avertissant qu’il n’y a rien changé, Victor Hugo, vingt fois pour une, imprime exactement le contraire de ce qu’il avait écrit en 1820 ou 1821. Il ajoute beaucoup, il supprime davantage, et naturellement, quand il ajoute, c’est pour nous faire croire qu’il professait, en 1820, des idées qui ne lui sont venues qu’en 1834 ; comme, quand il supprime, c’est pour nous cacher qu’en 1834 il lui convenait d’abjurer