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plaisanteries, — sans être jamais aussi lourdes que celles de Triboulet ou de don César de Bazan, — ne sont pourtant pas tout à fait assez légères ; mais, après tout cela, le livre de M. Edmond Biré n’en demeure pas moins un des plus amusans, des plus curieux, des plus instructifs que l’on puisse lire, très riche de documens, de documens inédits, plus riche d’anecdotes, un de ces livres enfin qui s’attachent en quelque manière à l’histoire d’un homme et d’un temps, font étroitement corps avec elle, et désormais ne s’en séparent plus. Nul maintenant n’écrira sur Victor Hugo, ni même sur les origines du romantisme, sans recourir d’abord au livre de M. Edmond Biré, et ce n’est pas beaucoup s’avancer que de dire qu’il y en a dès à présent telles et telles parties que l’on n’en recommencera pas.

J’ose en conseiller tout particulièrement la lecture à ceux qui ne connaîtraient du poète que ce qu’il a bien voulu nous en faire savoir par les siens, ou ce qu’il n’a pas dédaigné de nous en apprendre lui-même ; si toutefois, comme je le crains, admirateurs, loueurs, et flatteurs endurcis, ils ne se complaisent pas de parti-pris et de ferme propos dans l’aveuglement de leur hugolâtrie. C’est qu’il y a là de simples rectifications de dates et de faits, — pour ne rien dire encore du reste, — qui sont bien, à elles seules, ce que l’on peut imaginer de plus piquant. La malignité publique y courra tout d’abord, et il faut avouer qu’elle aura raison. Les défaillances de la mémoire se comprennent, s’excusent et se pardonnent quand elles sont un effet naturel de l’éloignement du temps et de l’affaiblissement de l’âge, mais non plus du tout quand, par une rencontre ou coïncidence fâcheuse, il arrive qu’elles fassent, au détriment de la vérité vraie, les affaires de notre amour-propre ; et tel est le cas de Victor Hugo. C’est évidemment en poète qu’il se trompe, — sans le vouloir, sans le savoir, et s’il le savait, sans y rien pouvoir, — seulement ses erreurs tournent toujours à son profit, et si sa mémoire est dupe de son imagination, il a l’imagination ainsi disposée qu’elle soit immanquablement complice de son orgueil. Voyons-en plutôt quelques exemples entre tant d’autres.

Il se trompe sur ses ancêtres, tout d’abord, qu’il métamorphose magnifiquement d’humbles cultivateurs qu’ils furent, ou d’honnêtes menuisiers, comme Joseph, son grand-père, fils lui-même de Jean-Philippe, en conseillers de cour, capitaines des gardes, évêques de Ptolémaïs et chanoinesses de Remiremont. Il se trompe sur son père, le général Hugo, chevalier de l’ordre royal de Saint-Louis, dont il veut absolument faire ce que l’on appelait alors un « brigand de la Loire » et qui, tout justement, n’ayant d’ailleurs à se louer beaucoup ni de l’empire ni de l’empereur, fut un des premiers qui se rallièrent au gouvernement de la restauration. Il se trompe sur sa mère, qu’il transforme en une autre brigande « en fuite à travers le Bocage, comme Mme de La Rochejaquelein, » et