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que nous ne savions ni prendre le Tonkin ni l’abandonner, la Chine a cherché naturellement à y jouer le rôle dominateur qui lui a si bien réussi en Corée. Rien de plus logique, il faut bien le reconnaître.

Nous terminerons en disant : Si la Chine n’a pas fait encore l’essai de la puissance militaire qu’elle croit avoir acquise dans ces dernières années, si elle ne s’est pas décidée à faire la guerre à un petit royaume comme le Japon après la confiscation des îles Liou-Chou, c’est parce qu’elle ne s’est pas sentie tout à fait assez forte pour cela. Le Japon avait un navire cuirassé et la Chine n’en avait pas. Il en a été de même à l’égard de la Russie, qu’elle avait pourtant bien plutôt envie de combattre que d’enrichir de plusieurs millions de roubles ; et qui sait si, poussée contre nous par de pernicieux conseils, elle n’a pas songé un instant à nous déloger de la citadelle d’Hannoï ? Heureusement elle a compris qu’une aventure semblable, en gênant par la suite l’accès de ses ports, pourrait tarir les meilleures sources de ses revenus ou laisser le champ libre à l’une des nombreuses sociétés politiques et religieuses qui pullulent chez elle. Tout le Tonkin n’a pu l’engager à braver de pareilles éventualités, sans compter le risque d’être de nouveau battue par les barbares d’Occident. Toutefois, si le gouvernement chinois sortait encore une fois de sa réserve habituelle au sujet de notre présence au Tonkin, nous saurons du moins pourquoi nous sommes autorisés à prendre vis-à-vis de lui une attitude énergique. Que ne l’avons-nous fait plus tôt ? Mais à quoi bon récriminer ? La chambre, qui, pour satisfaire ses haines de parti, ne regarde pas à compromettre nos plus évidens intérêts coloniaux, la chambre, qui a laissé humilier les pavillons de notre escadre à quelques milles d’Aboukir, en vue des Pyramides, la chambre, qui ne sait comment organiser la Tunisie, ne connaît absolument rien, et ne veut rien apprendre des choses de l’Orient et de l’extrême Orient. Elle vit toujours dans la croyance que les Asiatiques entendent quelque chose aux rapports internationaux qui sont en quelque sorte monnaie courante en Europe. Mais les Asiatiques ne connaissent qu’une raison, la force ; qu’un mérite, l’action.


EDMOND PLAUCHUT.