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et il invitera la Chine et ceux qui lui conseillent de nous être désagréable à ne plus s’occuper de lui.

Il serait criminel de le cacher : il est, derrière l’empire du Milieu, une puissance européenne, dont l’inimitié pourrait bien nous poursuivre jusque sous ces lointaines latitudes. Ce sont, en effet, des officiers allemands qui, de préférence à des officiers français, instruisent aujourd’hui sur quelques points du littoral les recrues chinoises ; ce sont des armes perfectionnées allemandes qu’on donne à ces jeunes soldats, ce sont aussi des torpilles de même origine qui défendent l’entrée du Peï-Ho et autres fleuves, et nous avons vu que le seul navire cuirassé de la flotte chinoise digne d’être ainsi qualifié proviendra des ateliers de Stettin. Faut-il encore une preuve du désir que l’on a à Berlin de mériter les bonnes grâces de la cour de Pékin, dans l’intention d’exercer sur elle une influence peut-être tout aussi dangereuse pour nous que pour la Russie ? La voici ; elle est toute récente, et a valu au vice-consul d’Allemagne à Swatow, M. de Mollendorf, un rappel sans sursis.

Lorsque le port de Swatow fut ouvert aux étrangers, les Allemands obtinrent, ainsi que les représentans des autres nationalités, le droit d’y acquérir des terrains. Une maison de commerce allemande acheta, il y a bientôt un an, un morceau de terre qui fut vendu par son propriétaire chinois avec toutes les clauses que la loi exige. Mais les mandarins de Swatow avaient vu d’un très mauvais œil cette vente d’un terrain à une maison étrangère, et ils s’opposèrent à ce que MM. Dirks, les acquéreurs, en prissent possession. L’affaire traînait en longueur, lorsqu’en janvier dernier le vice-consul d’Allemagne fit demander cinquante hommes au commandant de l’Elisabeth, corvette de guerre prussienne qui se trouvait en rade de Swatow. Entouré de ces cinquante hommes, il plante un mât au centre du terrain vendu, hisse un pavillon noir et blanc et proclame aux yeux ébahis des mandarins que l’emplacement sur lequel il se trouve est devenu à tout jamais terre allemande. Rien de plus correct. Les autorités chinoises ont pourtant porté plainte à Berlin, et, ô surprise ! M. de Mollendorf vient d’être révoqué. Les Européens en résidence à Swatow déplorent vivement cette mesure, qu’ils considèrent comme inique. Quant aux mandarins, leur joie orgueilleuse se manifeste sans retenue.

Cette intervention occulte et hostile de l’Allemagne dans nos affaires du Tonkin n’a rien qui puisse nous inquiéter. Nous en parlons simplement pour la constater et affirmer que, forts de nos droits, nous saurons les faire respecter. Mais nous voudrions que l’on sache bien que cette intervention n’est que le fruit de notre indécision. Tandis que nous hésitons, les autres agissent. Voyant