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Il ne faut pas s’arrêter à des aberrations momentanées. Que n’a-t-on pas dit à l’origine contre les armes à feu, lesquelles pourtant ont bien contribué à la victoire de la civilisation ? Pour moi, j’ai la conviction que la science est bonne, qu’elle fournit seule des armes contre le mal qu’on peut faire avec elle… »

On assure qu’il y aura bientôt 50,000 soldats chinois armés de fusils à tir rapide et devant leur instruction militaire à des officiers européens. Nous voulons bien le croire ; mais nous ne pouvons nous empêcher de faire une remarque. La garde impériale (celle qui est chargée de protéger le Fils du Ciel et sa résidence à Pékin), est forte de 17,000 hommes. C’est peut-être là le noyau de l’armée qui, dans un avenir plus ou moins rapproché, cherchera à fonctionner mieux que celle que nous connaissons aujourd’hui. Or cette garde est divisée en six bataillons, dont quatre seulement sont armés de fusils se chargeant par la culasse. Les deux autres n’ont encore que le fusil à mèche. On sait qu’il ne faut pas plus de deux hommes pour manœuvrer un seul de ces engins étonnans : l’un, pour le porter, l’autre pour y mettre le feu. Si telle est la cohorte d’élite préposée à la sécurité du jeune empereur de Chine, que doivent être les troupes qui sont éloignées de la capitale ? Tout récemment, un grand voyageur, M. Colquhun, fait la rencontre des soldats chinois postés sur la frontière sud du Yun-nan pour en défendre l’accès aux barbares français : « Ils n’avaient d’autres armes, a dit avec une sorte de dépit M. Colquhun dans une conférence qu’il faisait à Simla aux officiers anglais de cette garnison, qu’une pipe à opium, une lampe pour l’allumer, un rouleau d’étoffe jeté autour, du cou servant à essuyer la sueur de leur front, et l’indispensable éventail… » M. Colquhun ne nous aime pas, simplement parce qu’il aimerait mieux voir le Tonkin entre les mains de l’Angleterre qu’entre celles de la France, aussi ce spectacle l’a-t-il navré. Évidemment, si ce sont là les guerriers qui doivent replacer sous la suzeraineté de la Chine le royaume de Siam, les lies Liou-Chiou, le Tonkin et l’Asie entière, il ne faut guère s’effrayer des velléités d’ambition qui tourmentent les fortes têtes du Céleste-Empire, y compris celle de notre ennemi intime Ma, l’ancien élève des jésuites.

Nous avons eu tout dernièrement entre les mains un document curieux, extrait et traduit de la Gazette de Pékin à notre intention, par un ami à nous. C’est un rapport fait par un censeur sur l’armée des Braves, rapport qu’il a adressé à l’empereur en le suppliant à genoux de le lire. Il date de l’année dernière, et nous le donnons, à peu de chose près, tel qu’il a été placé sous les yeux de l’empereur de Chine.