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risquera d’être abandonné, heureux si ceux qui le montent ne sautent pas en l’air avec lui ! Ajoutons, pour faire évanouir bien des appréhensions, qu’une escadre française partant de Toulon peut en quatre mois aller en Chine et être revenue à son point de départ, ayant assurément coulé bas les navires impériaux qui auraient osé lui donner rendez-vous dans la baie de Tourane ou dans les eaux du golfe du Tonkin. Les Chinois peuvent d’ailleurs être certains que les constructeurs allemands ne demanderont pas mieux que de leur renouveler leurs flottes. Le Céleste-Empire est pour eux une source de gains magnifiques. Que l’on interroge également à ce sujet les Anglais d’abord et les Américains ensuite : tous se sont enrichis outrageusement aux dépens de leur naïve cliente. S’il n’est pas question de fournitures françaises, c’est parce que notre marine marchande est pour ainsi dire morte. Pourquoi s’en étonner ? On l’a subventionnée pour qu’elle puisse vivre sans travailler et s’enrichir sans courir aucun risque.

Il est bien difficile de savoir le chiffre exact de soldats que l’empire chinois a sous les armes. Il est aussi difficile à établir que celui de sa population, que des recensemens plus ou moins véridiques font varier de trois cent vingt à quatre cent millions d’habitans. Quoi qu’il en soit, l’armée chinoise fût-elle, sans compter les garnisons de la Mandchourie, de six cent mille hommes, comme elle l’était en 1880, — sur le papier, — nous avons tout lieu de croire qu’il n’y a pas plus de trois cent mille soldats en activité. Si les généraux chinois n’envoyaient pas en congé trois cent mille Braves, et s’ils n’en touchaient pas sans scrupule la solde, trois cent vingt mille hommes tiendraient garnison dans les grandes villes, pendant que deux cent mille hommes d’infanterie et quatre-vingt mille de cavalerie feraient un service actif. Mais, nous le répétons, il n’en est rien ; et malgré la bravoure incontestable du soldat chinois, malgré l’achat par son gouvernement de quelques milliers d’armes à tir rapide, malgré l’instruction militaire donnée aux recrues asiatiques par des instructeurs anglais et allemands, une armée chinoise lâcherait pied devant n’importe quelle armée européenne. Ce ne serait certainement pas par lâcheté, nous devons le dire, mais parce que les troupes qui la composeraient n’auraient, pour la plupart, à opposer à nos armes perfectionnées que des lances, des arcs, des flèches, des hallebardes, des fusils défectueux et des canons d’une portée inférieure aux nôtres et d’un tir moins rapide.

Il est avéré qu’il y a beaucoup de compagnies de soldats chinois qui ne sont formées que de vagabonds, dont l’occupation principale est de s’entendre avec les voleurs de grands chemins lorsqu’il y a quelque bon coup à faire, c’est-à-dire quelque riche marchand ou