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que la Chine de considérer le roi de l’Annam, sinon comme notre vassal, du moins comme notre protégé[1] ?

L’honorable M. de Saint-Vallier, dans le discours qu’il a prononcé sur cette question ces jours-ci au sénat, est complètement de cet avis. Voici ce qu’il a dit à ce sujet : « L’empereur de Chine a dû être assez surpris de voir le roi d’Annam invoquer une suzeraineté nominale qui avait bien pu être imposée à l’époque où les Chinois avaient pénétré en Cochinchine, mais qui paraissait tombée depuis longtemps dans la désuétude et l’oubli… Toutefois cet appel du vassal devait flatter le suzerain, et il y eut dès lors entre la cour d’Annam et l’empereur chinois un échange de communications avec des promesses de secours. Les journaux étrangers ont fait beaucoup de bruit de cette suzeraineté et des difficultés qui en résulteraient pour nous dans le cas où nous donnerions suite à notre projet d’occupation. Ces difficultés, nous ne pouvons les admettre : d’abord parce que la Chine, jusqu’à l’appel tout récent de l’Annam, n’avait jamais songé à rappeler ces droits de suzeraineté sur les provinces cochinchinoises, et puis parce que cette suzeraineté qu’invoque l’Annam ne s’est jamais, en aucun temps, étendue au Tonkin. Le Tonkin a toujours été une principauté indépendante, la région montagneuse qui le sépare de la Chine l’ayant préservé des invasions du Céleste-Empire. » M. le ministre des affaires étrangères, dans sa réponse à M. de Saint-Vallier, a été encore plus explicite. « Le traité de 1874, a-t-il dit, a été notifié à la Chine immédiatement après sa ratification. Cette puissance n’avait à faire et ne fit, en effet, aucune observation. »


II

Ce qu’il y a d’étrange dans tout ceci, c’est que la campagne dirigée contre notre influence au Tonkin a été menée longtemps par un Chinois converti du nom de Ma-Kien-Tchong. Ce personnage connaît mieux Paris et la France que beaucoup de Français. Deux fois bachelier, il a passé avec succès sa thèse de licencié en droit et il s’est vu délivrer le diplôme que l’École des sciences politiques décerne à ses meilleurs élèves. Admis d’abord dans nos écoles, nous l’avons vu par la suite se montrer dans les salons à la mode des deux

  1. Voir l’Annexion du Tonkin, dans la Revue du 15 septembre 1880.