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de temps après, l’un des deux régens de Siam donnait publiquement à ce récit un démenti formel.

Avec l’audace qui caractérise les ministres de l’empire du Milieu, un mandarin a été l’année dernière à Bangkok avec mission de faire rentrer dans le devoir le tributaire récalcitrant. Les Siamois ont répondu qu’ils voulaient bien continuer à entretenir d’excellentes relations avec les Chinois, mais sur un pied d’égalité, et qu’ils se rendraient à Pékin par la voie de mer, ainsi que le font les ambassadeurs des puissances d’Occident, et pas du tout par la voie de terre, qui est celle suivie par les feudataires. La Chine se l’est tenu pour dit, ce qu’elle fait toujours lorsqu’on lui parle avec fermeté. Elle ne réclame plus rien de Siam, qui, par précaution, arme ses forts et élève de nouvelles citadelles.

Le vice-roi du petit archipel des Liou-Chiou a, lui aussi, longtemps payé tribut, il est vrai, à la Chine ; mais il est encore plus vrai que l’archipel en question a toujours fait partie du fief de l’une des plus grandes familles seigneuriales du Japon, — celle des Satsuma. Il n’y a qu’à lire sur une bonne carte les noms des principales îles, tels que ceux de Okinava-Suma, Ka-Kirouma et Oho-Sima, pour ne pouvoir douter qu’elles ont été baptisées par les Japonais. En 1879, ces derniers firent, sans aucun avis préalable, de l’archipel des Liou-Chiou l’un de leurs départemens ; ils ordonnèrent au vice-roi de ne plus reconnaître la suzeraineté de la Chine, et, comme il s’y refusait, on l’embarqua de force pour le Japon sur un navire de guerre. Il y est encore aujourd’hui, entouré d’une petite cour qu’on lui a permis de faire venir de son pays pour le consoler de sa royauté perdue.

Certes, l’entrée d’une armée anglo-française à Pékin et à Canton fut une cause de grande humiliation pour les Chinois ; le châtiment qu’une petite armée japonaise alla infliger aux pirates de l’île Formose, l’une de leurs possessions[1], fut aussi très sensible à leur orgueil ; mais la façon cavalière dont le mikado leur enleva les îles Liou-Chiou a blessé beaucoup plus encore leur amour-propre. Leur ressentiment, quoique dissimulé, dure toujours ; il se manifeste sans éclat, mais d’une façon continue. Si le Japon arme encore aujourd’hui avec plus de persistance que jamais, et au-delà même de ce que ses finances lui permettent, c’est parce qu’il croit que sa puissante voisine n’attend qu’une occasion favorable pour lui déclarer la guerre. Nous croyons que le Japon n’a, pour le moment du moins, rien à craindre ; mais, quoi qu’il en soit, il

  1. Voyez Formose et l’Expédition japonaise, dans la Revue du 15 novembre 1874.