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observations[1]. Mazarin, qui depuis s’est proclamé l’auteur du siège de Thionville[2], se montrait incertain et semblait même ignorer que l’importance de cette conquête venait d’être signalée par le commandant de l’armée du roi en Allemagne[3]. Les premiers ordres envoyés à Gesvres[4] sont suspendus (3 juin) ; tous les donneurs d’avis sont écoutés ; « on a représenté beaucoup de choses qui rendent l’exécution du dessein du Chenest fort difficile[5] ; » celui-là trouve le corps de Champagne trop faible ; le maréchal de La Meilleraye, particulièrement expert dans les sièges, ne croit pas au succès ; d’autres plans sont suggérés. Un officier général qui rentre des prisons de l’ennemi, Rantzau, aussi fin courtisan que vaillant soldat, homme d’esprit, superficiel, non moins connu pour ses habitudes d’intempérance que pour les glorieuses mutilations de son corps[6], « indique une conquête importante qui couronnerait la victoire de Rocroy, » et le premier ministre envoie ce mémoire à M. le Duc, en demandant une prompte réponse. Il s’agissait de substituer à l’entreprise qu’avaient indiquée les deux généraux en chef des armées de Picardie et d’Allemagne une de ces opérations mesquines qui venaient d’être déjà examinées et repoussées, le siège de Bouchain[7]. Sans ouvrir de discussion, Anguien déclara que « l’exécution des propositions de M. de Rantzau était impossible, » et il répondit sur l’ensemble avec une vivacité qui trahissait l’emportement de son caractère[8] ; si bien que M. le Prince prit sur

  1. Le Tellier à M. le Duc, 5 juin.
  2. Le mémoire où Mazarin expose les raisons qui ont fait décider le siège de Thionville, la lettre de ce ministre au cardinal Bichi sur le même sujet, sont des documens postérieurs à l’événement.
  3. Voir plus loin le plan de Guébriant.
  4. Instructions du 28 mai.
  5. Le Tellier à M. le Duc, 5 juin.
  6. Rantzau (Josias, comte de), né en 1609, d’une très ancienne famille du Holstein, avait servi d’abord en Hollande, ensuite sous Gustave Adolphe, puis dans l’armée de l’empereur, qu’il quitta pour retourner avec les Suédois ; aussi était-il considéré par les Impériaux comme coupable de trahison, et nous verrons qu’il faillit lui en coûter cher. Entré au service de France en 1635, il perd un œil devant Dôle en 1636, une main et une jambe devant Arras en 1640, reçoit en 1641 trois blessures devant Aire, quatre en 1642 à Honnecourt, où il fut fait prisonnier :
    Et Mars ne lui laissa rien d’entier que le cœur.
    Il avait conservé une tournure martiale et un très beau visage. Maréchal de France en juin 1645, il mourut en 1650.
  7. Proposition présentée à la Reine par la comte de Rantzau, maréchal de camp, transmise à M. le Duc par Le Tellier. C’est bien cette proposition que vise la lettre de Mazarin du 3 juin.
  8. M. le Duc à M. le Prince. — M. le Duc à la Régente, 8 juin.