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les écouter débattre l’utilité d’une religion d’état sans leur crier que les civilisations vermoulues sont seules capables de s’arrêter à pareilles sornettes. La clarté de l’atmosphère sociale a chez nous un charme incomparable. Tout s’y arrange vite et simplement, point d’esprit de routine, point de gens à cocardes et à grands sabres qui règlent vos moindres mouvemens. L’Américain n’est jamais pris au dépourvu ; il aurait honte de ne pas savoir faire tout ce que fait son voisin ; cette capacité générale jointe à une spontanéité générale aussi, le sentiment de la liberté un au goût et à la volonté d’apprendre, n’est-ce pas l’essence même de la plus haute civilisation ?

Si vous saviez comme je me suis senti à l’aise dans un train de chemin de fer où je pouvais circuler, étendre mes jambes, jouir d’un siège et d’une fenêtre à moi tout seul, trouver une table et des chaises, me procurer à boire et à manger ! L’un de mes supplices, dans ces vilaines petites boîtes européennes, était d’être dévisagé des heures de suite par un vis-à-vis inconnu. Parlez-moi de la façon large, libre et facile dont s’accomplissent ici toutes choses ! A Londres, le garçon d’hôtel me priait chaque samedi de commander mon dîner du dimanche, et quand je lui demandais une feuille de papier, il la marquait sur la note. Cette ladrerie, cet appel incessant à la pièce de dix sous m’exaspérait.

Sans doute, j’ai vu dans le nombre beaucoup de gens aimables, mais je trouve l’imagination de mes compatriotes plus vive et plus souple ; d’ailleurs ils ont l’avantage d’un plus vaste horizon, qui n’est pas borné au nord par l’aristocratie britannique, au sud par le scrutin de liste. Pardon si je mêle un peu les pays, mais ils ne méritent pas qu’on les sépare. L’absence de petites misères conventionnelles, de petits jugemens tout faits est rafraîchissante. Nous analysons mieux les choses, nous avons plus de discernement, nous sommes plus familiers avec la réalité. Quant aux manières, il y en a de mauvaises partout, mais les plus mauvaises sont, à mon avis, celles de l’aristocratie qui se pique d’être polie dans son cercle pour avoir le droit d’être insolente en dehors de lui. La vue de ces millionnaires, dont les richesses-augmentent par l’effet du travail, m’impose beaucoup plus que toutes les armoiries et toutes les décorations du vieux monde, et il y a un certain type puissant d’Américain pratique (il existe dans l’Ouest surtout), très tranquillement pénétré de cette vérité que l’avenir est dans ses mains, un type incomparable, plus intéressant que tous ceux que j’ai rencontrés ailleurs.

Sans doute, vous allez encore me jeter à la tête vos cathédrales et vos Titiens, mais ce qui m’aide à m’en passer, c’est que nous