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chemin de fer. Pas de fonctionnaires, pas de concierges, pas d’officiers de garde, pas d’uniformes, aucun signe d’autorité, rien qu’une foule d’individus mal mis, circulant à travers un labyrinthe de crachoirs. Nous sommes trop gouvernés peut-être en France, mais au moins nous avons une certaine représentation de la conscience et de la dignité nationales. Ici toute dignité est absente et on me dit que la conscience est un gouffre sans fond. L’état, c’est moi ! vaut encore mieux que le crachoir. Cet ustensile est architectural, monumental en Amérique ; que dis-je ? c’est le seul monument ! En somme, le pays est intéressant, maintenant que nous avons, nous aussi, une république. C’est la plus vaste illustration de la chose, c’est aussi le plus formidable avertissement. Voilà donc le dernier mot de la démocratie : platitude ! — L’Amérique est très vaste, très riche et parfaitement laide. Un Français n’y pourrait vivre, car la vie, en la prenant au pire, permet toujours chez nous une sorte d’appréciation. Ici, au contraire, il n’y a rien à apprécier. Quant aux gens, ce sont des Anglais moins les conventions. Jugez de ce qui reste ! Les femmes pourtant sont quelquefois bien tournées. Il y en avait une à Philadelphie. J’ai fait connaissance avec elle, par accident… Elle ne cherchait pas le mari, elle en avait déjà un… C’était à l’hôtel… Je crois que le mari ne compte pas. Mais un Français, je le répète, peut se tromper et doit s’assurer d’abord qu’il a raison. Aussi je m’assure toujours !


VII.
Marcellus Cocherel (Washington) à Mrs Cooler, née Cockerel, (Oakland, Californie).


25 octobre.

J’aurais dû vous écrire depuis longtemps, ma chère sœur, car il y a quatre mois que votre dernière lettre m’est parvenue. J’ai passé la première moitié de ces quatre mois en Europe, l’autre moitié sur le sol natal. Concluez de cela que j’ai été d’abord trop triste, puis trop heureux pour écrire. Vous aurez appris par les journaux que j’étais revenu le 1er septembre. Délicieux pays où l’on voit tout dans les journaux, délicieux journaux si vastes, si familiers, si complaisans qui n’ont d’autre prétention que de donner des nouvelles ! Je crois que la différence dans ce qu’on appelle le ton de la presse n’a pas médiocrement contribué à la satisfaction que j’éprouve de rentrer chez moi. En Europe, c’est lamentable : la science infaillible, la solennité, la fausse honorabilité, la verbosité, les discussions interminables sur des sujets surannés ! .. Ici, au contraire, les