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Turenne, et, à son défaut, soit au maréchal de Châtillon, si l’armée devait continuer à tenir la campagne, soit à La Meilleraye, si on se décidait pour un grand siège. La Reine leur préféra le duc d’Angoulême. Ce fils de Charles IX et de Marie Touchet, allié à la plus dangereuse des maîtresses de Henri IV, compromis dans mainte intrigue et même dans quelques complots, hôte intermittent de la Bastille, parfois menacé de l’échafaud, avait beaucoup de services et passait pour un vigoureux reître. Assez populaire, avec ce prestige qui s’attache au dernier rejeton d’une race éteinte, il avait alors soixante et dix ans, et la goutte ne lui laissait guère de repos. « Je doutte fort, écrivait le duc de Longueville à son beau-frère, je doutte fort qu’à cause de son aage et de ses incommodités, il vous puisse fort soulager, mais vous le trouverez fort complaisant et presque toujours de l’avis du dernier qui parle[1]. » C’est sans doute pour cette raison qu’il fut désigné. M. le Duc se garda bien de confier aucune fonction active à son nouveau lieutenant-général. Il lui laissa quelques troupes fatiguées et quelques détachemens tirés des garnisons pour faire une sorte de police des frontières.

Voici d’ailleurs ce qui avait surtout ému et mécontenté le duc d’Anguien. Comptant sur le concours des troupes de Champagne qui déjà étaient à sa disposition avant la bataille, informé par dépêches des 18 et 20 que son armée allait être renforcée, pressé par lettre royale de faire connaître ses vues, il avait indiqué le siège de Thionville et prié le ministère de donner immédiatement au marquis de Gesvres l’ordre de préparer cette opération pendant la pointe de l’armée en Hainaut. Or, Gesvres s’étant arrêté à tous les prétextes pour ne pas s’éloigner de la princesse Marie de Gonzague, dont il était passionnément épris, malgré ses dédains, ressentait quelque chagrin d’avoir trop compté sur un début de campagne moins vivement mené et d’avoir laissé à d’autres l’honneur de conduire ses troupes sur le champ de bataille de Rocroy. Aujourd’hui, à peine de retour à Reims[2], tout en affirmant son désir de « donner à M. le Duc le moyen de profiter de sa victoire, » il paraissait tenir beaucoup à conserver l’indépendance qu’on lui avait à peu près assurée, et se trouvait « en état de faire des choses très considérables du côté du Luxembourg, si on lui permettait d’agir. Surtout je supplie Votre Excellence d’empêcher qu’on ne m’ôte pas une des troupes qu’on m’a données[3]. »

Le gouvernement semblait avoir prêté l’oreille à ces

  1. 26 mai.
  2. Le 22 mai, de Reims, il envoyait à M. le Duc ses félicitations sur la victoire de Rocroy, qu’il venait d’apprendre en arrivant de Paris. Gesvres n’assistait donc pas à la bataille du 19, où le font figurer la plupart des historiens.
  3. Gesvres à Mazarin, Reims, 24 mai.