Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il y a force exclamations vagues, force phrases sans suite… En somme, elles sont naturelles. J’ai rencontré bien peu d’affectation. Cela viendra probablement avec le progrès. Vous allez conclure de ce tableau, je le répète, que la société est insipide ! Pardon, laissez-moi bien vite ajouter que tout n’est pas également plat. Je ne vous ai parlé que des rapports mondains. Les boutiquiers, les employés du chemin de fer, les domestiques, les cochers de fiacre, tous ceux à qui vous achetez ou demandez quelque chose, mettent vos nerfs à rude épreuve. Avec ceux-là vous avez besoin d’appeler à votre aide les meilleures manières et d’en avoir pour deux. Si vous nous trouvez trop démocrates, goûtez un peu de ce côté de la vie américaine et vous saurez au juste à quoi vous en tenir ! Vous vous sentirez vivre dans la région même de l’inégalité ; le poids de cette inégalité pèsera lourdement sur vos épaules.

Et le prix de tout ? .. Ne m’en parlez pas… C’est à faire frémir !


IV.
De l’honorable Edward Antrobus, membre du parlement, à l’honorable Mrs Antrobus.


Boston, 17 octobre.

Ma chère Suzanne, je vous ai adressé une carte-poste, le 13, et un journal du cru hier matin ; en vérité, je n’ai pas le temps d’écrire. Je vous ai envoyé le journal, en partie, parce qu’il renfermait un compte-rendu, absolument incorrect d’ailleurs, de quelques observations que j’avais faites, concernant l’association des professeurs dans la Nouvelle-Angleterre, et en partie, parce que j’ai pensé que cela vous amuserait, vous et les enfans, de constater l’orthographe particulière qui finira peut-être par faire son chemin jusqu’en Angleterre et certaines bizarreries d’expression qui révèlent l’humour américain ; quelques-unes sont cherchées avec intention, d’autres sont involontaires et d’autant plus drôles par cela même.

Excusez-moi si ces quelques lignes sont presque illisibles ; je vous écris à la clarté d’une lampe de chemin de fer que le mouvement du train secoue avec un cliquetis incessant au-dessus de mon oreille gauche. Ayant tant de choses à voir, je dérobe avec peine un moment à ce spectacle vertigineux pour faire ce que je désire. Vous direz que ce moment-ci est étrangement choisi, par exemple, quand je vous aurai appris que je suis couché dans un sleeping-car. J’occupe le cadre supérieur (l’arrangement de ces wagons vous sera expliqué à mon retour), tandis qu’au-dessous de moi, — les cahots sont abominables, — repose une dame inconnue. Vous vous