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dans une bouche d’enfant, est terriblement rude ; l’américain règne exclusivement dans les écoles ; les revues et les journaux en sont infestés. Naturellement un peuple de cinquante millions d’âmes qui a inventé une civilisation nouvelle a droit à un langage qui lui appartienne, mais je souhaiterais qu’il fût digne de la langue mère dont, après tout, il dérive plus ou moins ; on m’affirme que c’est plus expressif, et cependant que de choses admirables ont été dites dans le royal anglais ! Vous me répondrez qu’il ne peut être question ici de royauté. L’américain sera donc la musique de l’avenir. Pauvre cher avenir, comme vous serez expressif ! Mes petits-neveux, lors de mon arrivée, m’ont effrayée par leurs inflexions vocales pareilles à celles de crieurs des rues. Ma nièce a seize ans, d’excellentes manières ; elle est parfaitement élevée, mise à peindre ; elle babille du matin au soir,.. et ce n’est pas un joli bruit. Quel dommage ! Nos jeunes filles sont tout le contraire des Anglaises du même âge qui savent parler et ne savent pas causer ; ma nièce cause à ravir, mais parle fort mal. A propos de ces petites personnes, voilà un autre danger. La jeunesse nous dévore ; il n’y a place que pour elle en Amérique. Tout est fait en vue de la génération qui s’élève ; la vie est arrangée à son intention ; c’est la ruine de toute société. On admire nos enfans, on les considère, on s’incline devant eux ; ils sont toujours là et, en leur présence, tout le reste s’éclipse. Ils sont prodigieusement soignés au physique, nettoyés, brossés, condamnés à porter des vêtemens hygiéniques, à se présenter chaque semaine chez le dentiste, mais les petits garçons vous distribuent des coups de pied et les petites filles vous font la grimace. Un flot immense de productions littéraires à leur usage encourage ces procédés. En ma qualité de quinquagénaire, je proteste. Il est trop tard malheureusement, car plusieurs millions de petits pieds sont en train de trépigner sur la conversation et de la réduire à néant. L’âge mûr aura de plus en plus un rôle ingrat chez nous. Longfellow a écrit un petit poème délicieux, l’Heure des enfans ; il aurait dû l’intituler le Siècle des enfans. Et par enfans je n’entends pas seulement ceux qui sont à la mamelle, j’entends tout ce qui est au-dessous de vingt ans. L’importance sociale du jeune Américain grandit jusqu’à cet âge, puis elle s’arrête. Bien entendu, celle des jeunes filles est plus marquée que celle des garçons, mais celle des garçons n’en existe pas moins. On connaît ces petits messieurs, on les cite, ils ont une réputation et des prétentions. Quant aux demoiselles, je l’ai déjà dit, elles sont trop nombreuses. Vous supposerez peut-être que j’en suis jalouse, à mon âge et avec ma figure ? Je ne crois pas, parce que ma figure n’a jamais effrayé les gens et que, malgré mon âge, je trouve à qui parler. Les jeunes filles elles-mêmes ont du