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premières entreprises semblaient plus à sa portée ; mais on ne pouvait essayer d’attaquer les ports de mer, Gravelines ou Dunkerque, sans forces navales ; or, celles de France n’étaient pas organisées, et pour avoir celles des Provinces-Unies, il aurait fallu entamer une négociation dont l’issue était fort douteuse ; les Hollandais montraient peu d’entrain. La satisfaction que leur causait la victoire de leurs alliés à Rocroy n’était pas sans mélange ; ils commençaient à s’effrayer de la puissance du roi très chrétien, et, voyant en lui le futur possesseur de la Flandre, redoutaient plus ce voisinage que celui des vice-rois espagnols[1]. L’Escaut était proche de l’armée, mais loin des magasins et des réserves qui se trouvaient alors en Bourgogne et en Lorraine. Avec la sûreté précoce de son jugement, M. le Duc avait compris qu’en maîtrisant le cours de la Moselle, on frappait les ennemis à la fois en Allemagne et aux Pays-Bas. Ce qui avait longtemps fait la force des Austro-Espagnols, c’était la facilité des communications entre Anvers et Vienne ; autant les Français s’attachaient à couper cette ligne, autant les généraux de l’empereur et du roi catholique tenaient à la conserver ou à la rétablir. S’emparer de Thionville et donner à l’occupation de Metz sa véritable valeur, c’était protéger notre armée d’Alsace contre une attaque sur ses derrières, c’était préparer la conquête de la Flandre, enlever, tout au moins diminuer les chances de secours que nos ennemis de Flandre pouvaient attendre d’Allemagne. L’entreprise était considérable. Nous y avions déjà échoué avec éclat. Les plus hardis voyaient dans ce grand siège la conclusion, le couronnement d’un vaste ensemble d’opérations dont le Rhin aurait été le théâtre ; mais le duc d’Anguien se croyait sûr de ses calculs. Le jeune et hardi capitaine envoya vers la cour son intendant et son chef d’état-major pour proposer le « dessein du Chenest » (ce fut la formule adoptée pour désigner le siège de Thionville), en exposer les détails, en demander les moyens. M. le Duc avisait en même temps qu’il allait pénétrer en Hainaut et y opérer pendant vingt jours[2], pour détourner l’attention des ennemis, les attirer de divers côtés, les forcer à garnir leurs places, masquer enfin les préparatifs du siège.

Il commença sa marche le 26, passa par Landrecies, suivit le cours de la Sambre, enlevant sur sa route Barlaimont, Aymeries, Maubeuge, qui ouvrirent leurs portes aux premières volées de canon, puis, tournant au nord et menaçant toutes les places, il se saisit de

  1. Les négociateurs français, passant par La Haye en se rendant à Munster, eurent grand’peine à renouveler le traité d’alliance.
  2. C’est là l’explication des vingt jours de pain ordonnés à Guise dès le 20 mai.