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Fronde ou l’ornement de la cour du jeune Louis XIV : Mlle de Bouteville, déjà hardie et plus belle que le jour[1], Julie d’Angennes, Louise de Grussol, Marie de Loménie et, confondue parmi d’autres, la plus modeste, mais non la moins tendre, Mlle du Vigean. Nous donnerons ailleurs la clé de quelques-uns des mystères que couvrent ces noms. Nous le ferons sobrement, car toute cette histoire anecdotique de notre héros a déjà été racontée par le plus aimable des philosophes, qui était aussi un de nos plus purs écrivains[2], et qui a laissé peu à glaner derrière lui.

De la part des hommes considérables, les lettres de félicitation ne suffisaient pas ; il fallait envoyer un courrier, un gentilhomme ; on chercha querelle à Turenne de ce qu’il s’était borné à écrire ; il est vrai que sa lettre était un peu sèche et du même ton que celle du 18[3]. Chevers[4], arrivé le troisième, présenta les trophées. « Vos drapeaux ont réjoui tout Paris, » écrivait le duc de Longueville[5]. Tout Paris, en effet, était sur pied pour les voir, la cour dans le Louvre, le peuple sur les quais et à Notre-Dame ; cinquante cavaliers de la maison du roi et cent hommes choisis parmi les plus beaux du régiment des gardes étaient à peine en nombre pour porter tant de bannières et d’étendards. Ce concert de louanges, l’écho de cette joie populaire n’était pas encore arrivé jusqu’au jeune vainqueur, que déjà sa pensée était concentrée sur un but unique : recueillir les fruits de la victoire. Dès les premières heures qu’il passa entre les étroites murailles de la petite place délivrée, il expédiait à l’intendant de l’armée l’ordre de faire immédiatement préparer à Guise et à Vervins le pain et les voitures nécessaires pour une opération de vingt jours, et il demandait que, de Paris, on mît le marquis de Gesvres en état et en demeure de le soutenir dans l’exécution d’un dessein considérable. Puis il ramenait ses troupes à Guise, où il arrivait le 24 mai. Le même jour, Choisy et La Vallière le quittaient pour porter à Paris les détails de son plan et toutes les propositions qui s’y rattachaient.

« Nous voicy à cet heure maistre de la campagne et il n’y a quasy rien que nous ne puissions entreprendre, » écrivait-il le 23 mai à son père. Trois desseins s’étaient offerts à son esprit : une tentative contre lTes villes maritimes de Flandre, la conquête de quelques places de l’Escaut, celle des forteresses de la Moselle. Les deux

  1. Longueville à M. le Duc.
  2. M. Cousin, dans maint volume. Le sujet avait déjà été traité par MM. Rœderer et Walckenaer.
  3. Turenne à Anguien, 21 mai, 1er juin.
  4. Expédié le 23 mai.
  5. 26 mai.