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elle ne survit pas à sa méprise. Winterbourne, celui qu’elle aimait en secret, celui qui n’a pas su la comprendre, tout Américain qu’il soit lui-même, est forcé bien tard de lui rendre justice : — Je me suis trompé, dit-il ; j’ai vécu trop longtemps à l’étranger.

Qui ne se tromperait comme lui ? On ne s’étonne que d’une chose, c’est que Daisy Miller, au milieu de ses extravagances, n’ait pas rencontré un brutal ou un libertin qui l’ait forcée à se repentir d’avoir joué ainsi avec le feu. Par bonheur pour elle, la pauvre enfant n’est pas venue en France abuser de sa liberté, mais les excentricités relatives de plus d’une Américaine à Paris nous permettent de juger que le portrait de cette brillante et superficielle créature, innocente sans délicatesse, n’est nullement chargé. Il n’y a que la vérité qui fâche ; nous ne pouvons donc nous étonner des récriminations qui ont éclaté contre M. James. En vain l’auteur avait-il donné à l’enfant gâtée plutôt que coupable beaucoup d’excuses : un père uniquement occupé à gagner de l’argent dans l’Ouest, une mère aveugle et stupide, des origines vulgaires, malgré son énorme fortune, et une petite tête aussi vide qu’elle est ravissante. Il avait commis le crime irrémissible, il avait frappé, fût-ce avec une rose, la jeune fille américaine, ce despote auquel tout est permis et dont les privilèges sans nombre faisaient dire à l’une de leurs compatriotes : — Je ne comprends que deux rôles au monde, celui-là ou celui de l’empereur de Russie.

Nous supposons que Bessie Alden, l’aimable héroïne d’un Épisode international, obtint auprès de ces dames la grâce de M. James. Dans une seconde nouvelle, il montra l’Américaine sur son propre terrain, respectée, quoi qu’elle fasse, et ne faisant rien, en somme, quand elle est bien élevée, qui puisse donner de doute sérieux sur son honnêteté parfaite.

Le jeune lord Lambeth voyage pour son plaisir d’Angleterre à New-York ; il porte une lettre d’introduction à M. Westgate, qui est naturellement dans les affaires et invisible tout en exerçant une large hospitalité par l’entremise de sa femme, que le monde possède tandis qu’il travaille. Cette jolie personne a une sœur accomplie sous tous les rapports ; rien n’est gracieux comme l’accueil fait au voyageur sur une piazza de Newport par Mrs Westgate et miss Bessie.

En vue de la mer et communiquant au plus coquet des salons, la piazza nous apparaît garnie de coussins moelleux, de chaises de fantaisie dorées à nœuds de rubans, où sont groupées plusieurs jeunes filles en compagnie de leurs admirateurs. L’un de ces derniers fait la lecture à haute voix. Le nouveau-venu le prie de ne pas s’interrompre.

— Oh ! non, répond très librement l’une des dames, personne ne ferait plus attention à lui maintenant.