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qui s’offrait à lui. L’espace qu’on lui montrait s’étalait à perte de vue et, dans ses visions, il entrevoyait confusément d’immenses destinées. Il se levait alors et suivait les chefs en qui s’incarnaient ses instincts et qui formulaient ses aspirations. Si loin que remonte l’histoire, elle ne va pas jusqu’à ces scènes primitives, qu’elle laisse pourtant deviner. S’il nous était donné de les reconstituer, nous verrions les peuples, au sortir de l’inconscient, s’éveiller à la vie sous l’empire d’idées qui, devenues ensuite traditionnelles, les gouverneront durant des siècles.

L’idéal ne s’est révélé à l’homme que lorsque celui-ci a su le ravir avec une violence instinctive ; mais alors aussi une sorte d’enivrement est venue saisir les esprits, devant qui s’ouvrait pour la première fois l’accès de ce monde des idées, sans lequel notre race, limitée à un horizon borné à quelques inventions matérielles, y serait restée à jamais confinée. Elle n’aurait ainsi pas même atteint le positif et le réel, en renonçant à poursuivre le spirituel et le divin. C’est là ce qui explique l’extrême inégalité des races humaines. Elles ont toutes possédé originairement la faculté innée de se perfectionner, mais cette voie du perfectionnement, avec ses mille degrés successifs, beaucoup ont cessé de bonne heure de la gravir ; d’autres s’y sont engagées résolument, et, arrivées à une certaine hauteur, elles ont senti palpiter en elles comme un germe mystérieux ; une vibration inconnue leur a révélé une sorte d’harmonie dont rien jusque-là ne leur avait fait soupçonner l’existence. C’est l’écho de cet enchantement de l’intelligence qui naît à la lumière, dont les premiers Védas ont gardé le retentissement à peine affaibli. — Quand les Aryens, nos lointains ancêtres, s’éveillèrent à la vie sociale, dans les hautes vallées de l’Asie, entre le Caucase et l’Indus ; quand ils marchèrent insoucians et enthousiastes dans plusieurs directions, hors de leur paradis terrestre, invoquant la divinité protectrice et l’apercevant dans les nuages, dans la lumière du soleil, dans la foudre, se croyant aux prises avec des forces mystérieuses et leur prêtant l’idéal qu’ils portaient en eux ; quand ils joignaient à des mœurs simples, à l’instinct des arts, aux pratiques de l’agriculture, le sentiment de ce qui élève l’âme, l’amour de la famille, l’impression de cette beauté souveraine qui rayonne dans la nature, ils représentaient bien alors le type de ce que l’homme a de plus pur, de ce qui lui a donné l’empire, enfin de ce qui seul peut maintenir cet empire aux races demeurées fidèles à leur plus haute destinée, en éloignant d’elles-les risques de la déchéance.


G. DE SAPORTA.