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de la pratique des rites religieux et des honneurs rendus aux morts, tels sont les points principaux qui marquent les linéamens des plus anciennes sociétés et qui se rattachent à un ordre d s choses antérieur, non-seulement à toute civilisation naissante, mais à l’invention même des métaux.

C’est à une semblable époque, ayant laissé, sur une foule de points de l’Europe, de la Scandinavie à la Suisse, du cœur de la France au sud de l’Italie et ailleurs, des milliers de vestiges de toute sorte que AL de Mortillet a appliqué le nom de robenhausienne. Pour le suivre sur ce nouveau terrain et s’avancer jusqu’à l’âge du bronze, il faudrait entrer dans des détails qui nous entraîneraient trop loin. Le rohenhausien est l’époque des dolmens et aussi celle des cités lacustres. L’homme commence alors à sortir de l’enfance. S’il ne connaît pas l’usage des métaux, du moins en Europe ; s’il ne possède qu’une agriculture et une industrie rudimentaires ; si, à certains égards, son existence est misérable, obligé qu’il est pour éviter la famine de ne négliger aucune ressource alimentaire en ayant recours dans sa détresse aux mûres, aux cornouilles, à la châtaigne d’eau, aux pommes sauvages, pourtant il sème déjà le blé et l’orge, il tisse de grossières étoffes de lin, il façonne des vases en poterie et les fait durcir au feu, enfin, il élève à ses morts de véritables monumens, qui ne sont que des grottes artificiellement reproduites à l’aide de pierres brutes régulièrement disposées. Les rites et l’invocation religieuse, les procédés de médecine et de chirurgie, une sorte de luxe dans le mobilier, des pratiques : les unes superstitieuses ou singulières, comme la trépanation ; les autres rationnelles et relatives aux réductions des fractures, commencent alors à se répandre. On sent que l’on touche au moment des grandes inventions, des efforts gigantesques tendant à élargir le cercle d’abord si étroit des connaissances et des procédés.

Ces élans de l’homme primitif, arrachant à la nature ses secrets, auront par eux-mêmes quelque chose de plus spontané que nos évolutions sociales si complexes, si étroitement enchaînées à un progrès antérieur. Le rôle des initiateurs qui, s’instituant chefs de tribus, surent les grouper, les réunir dans des villes et leur donner des lois marquées de l’empreinte de leur génie, nous a été transmis comme un des plus lointains souvenirs de l’histoire. Ménès, Nemrod, Assur personnifient sans doute des peuples entiers ; mais ces peuples qui naquirent un jour à la vie politique, c’est le plus souvent à l’aide d’une action réellement individuelle, par l’influence des héros, des êtres inspirés et supérieurs, qu’ils percèrent la nuit qui avait enveloppé leur berceau. Lorsque les circonstances et la race combinées amenèrent ces sortes d’élans, l’homme encore jeune et demeuré plastique n’eut qu’à se précipiter dans la voie nouvelle