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à des inventions matérielles et à des conceptions idéales et par elles jusqu’aux limites de cette culture suprême de l’ensemble de nos facultés qui mérite le nom de civilisation. Nous sommes encore bien loin certainement de ce niveau élevé qu’un très petit nombre de races réussirent seules à atteindre. Les tribus dont nous nous préoccupons ici, et qui peuplaient la France avant la fin du quaternaire, avaient bien en elles quelques éclairs avant-coureurs de cet esprit intuitif, quelques germes latens de sens créateur et initiateur ; mais, en regardant les choses de plus près, on comprend que ces germes, étouffés à leur naissance, n’ont rien de fécond ni de définitif ; il s’agit plutôt d’une éclosion hâtive, d’un signal qui ne sera répercuté par aucun écho.

Comme le démontre avec raison M. de Mortillet, dans cette Europe du quaternaire récent, l’homme de la Madeleine est chasseur, actif, ingénieux, frappé du spectacle que déploie autour de lui la nature vivante. Il possède un foyer ; il a ses joies et ses tristesses, il célèbre ses chasses, il sait se procurer certaines jouissances à l’aide des arts d’imitation et d’ornementation. Enfin il reconnaît des rangs et une hiérarchie, puisqu’il possède des insignes d’honneur et des marques de commandement ; mais c’est là tout : point d’agriculture, aucune domesticité ; si ces hommes prennent soin de leur sépulture, elle est placée en plein air ; et aucun indice légitime n’a encore permis de signaler des tombes de cet âge, construites avec la pensée de protéger les restes des morts en leur élevant un abri durable, imité de leur demeure pendant la vie, selon des rites et dans des lieux déterminés. Tout cela est réservé à l’âge suivant. On voit que nous ne touchons pas encore, surtout en Europe, à l’aurore des plus anciennes sociétés régulières. L’âge magdalénien répond à un état particulier qui nous montre les résultats des plus anciennes localisations des races humaines, désormais parquées dans des régions où elles se développent à part, mais bientôt aussi se touchant, se pénétrant et se mêlant à l’aide d’émigrations qui leur ont très rarement permis d’accomplir entièrement à l’écart leur perfectionnement définitif.

Quelle était cette race magdalénienne ? Peut-on se prononcer à l’égard de ses traits physiques et de sa structure ostéologique ? Une découverte demeurée célèbre, celle des sépultures de Cros-Magnon, due à M. Louis Lartet, qui avait extrait plusieurs corps d’une grotte renfermant des débris de l’âge de la Madeleine, avait porté la plupart des savans à considérer ces restes comme ceux de la race artistique du Périgord. Mais cette opinion, adoptée par les auteurs du grand ouvrage Crania ethnica, est repoussée par M. de Mortillet, qui découvre à Gros-Magnon, ainsi qu’à Furfooz, à Aurignac, et à Menton des indices de remaniemens postérieurs, opérés à