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assez répandu pourtant pour fournir de l’ivoire et aussi pour que l’homme de cet âge, (frappé de son aspect, ait songé à graver ses traits, que son burin nous a naïvement transmis. Effectivement, l’homme de Solutré et de la Madeleine est devenu artiste à sa manière ; matériellement et psychologiquement, son état s’est modifié et les progrès accomplis sont immenses. La division du travail industriel, longtemps obscure et à peine marquée, est maintenant effective. Si le silex, la pierre pour mieux dire, est encore la seule matière employée au début, à Solutré, la taille atteint son apogée ; les pointes en feuilles de laurier étonnent par leur extrême régularité et la finesse de leurs retouches. Les pointes « à cran, » disposées pour être emmanchées, sont très habilement exécutées. Cependant, durant le cours du magdalénien, un nouvel élément industriel vient s’ajouter au premier ; l’os est travaillé à son tour, ainsi que l’ivoire et la corne des cervidés. C’est là une transformation et un progrès véritable. La substance employée se spécialise aussi bien que l’instrument lui-même. Nous avons vu les pointes de javelots et de dards, très artistement retouchés sur les deux faces, destinées à être emmanchées ; les grattoirs ne sont pas moins bien appropriés à l’usage auquel ils étaient exclusivement appliqués. Dans le magdalénien, les instrumens conservent ce caractère d’utilité immédiate ; ils fournissent la lame, le perçoir, le burin, la scie. Avec l’os travaillé paraissent les aiguilles, les harpons, enfin les objets de pur ornement, les sculptures et ciselures.

Certaines représentations donnent de curieux détails sur l’homme et les animaux de l’époque. Le renne, l’ours, le mammouth ont été figurés. L’homme est toujours nu ou paraît l’être. On connaît l’image d’une femme enceinte dont le corps semble couvert de poils abondans ; mais ce sont peut-être des rides ou encore l’indice de vêtemens de peaux. Un homme marche avec un bâton appuyé sur son épaule. D’après M. de Mortillet, les mains ouvertes ne montreraient jamais le cinquième doigt, toujours replié sous les autres, et cette allure aurait caractérisé l’homme magdalénien. Nous disons l’homme, mais il ne faut plus ici, croyons-nous, le prendre d’une façon générale. De même que, par la division du travail, les produits de l’industrie se sont spécialisés, de même, après une première extension, les races humaines se sont différenciées en se localisant. Ce sont les plus anciens résultats de cette localisation en Europe que nous découvre le magdalénien. La race de Solutré, dont les pointes en feuille de laurier sont si achevées, celle plus récente et plus artiste des grottes du Périgord, dont nous admirons les dessins naïfs et les essais de sculpture, nous traduisent les premiers efforts de cet esprit d’initiative et de progrès relatifs qui, après la localisation des races humaines, conduisirent quelques-unes d’entre elles