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« mégaceros, » ou cerf des tourbières, au bois gigantesque, les ours, le glouton, le renne, le cerf du Canada, le bœuf musqué, l’aurochs entourent l’homme de leur foule et l’obligent à repousser leurs attaques, où l’engagent à les poursuivre. La chasse devient pour lui une nécessité de premier ordre ; mais, en définitive, c’est toujours la race chelléenne et ses rares débris qu’il faut interroger pour se faire une idée des traits physiques de l’homme européen dans la partie ancienne des temps quaternaires.

Tant que le soin de donner aux morts une sépulture durable n’a pas été une préoccupation chez les plus anciennes races, les chances de recueillir leurs restes authentiques et de reconstituer leurs caractères physiques, à l’aide de leurs ossemens, sont demeurées très faibles. Les fauves qui hantaient les cavernes y traînaient leurs victimes et elles-mêmes y restaient souvent à l’état de cadavres. L’homme qui, à partir du moustiérien, séjournait aussi dans les excavations, y a laissé les ossemens des animaux qu’il avait mangés, des débris de foyers et des instrumens mêlés aux cendres ; mais, s’il n’avait pas encore l’idée d’honorer ses morts en les déposant dans un lieu particulier, destiné à protéger leurs dépouilles, il ne gardait pas non plus ces dépouilles auprès de lui. D’ailleurs, il existe bien des usages relatifs à l’ensevelissement, et maintenant encore, les tribus de l’Amérique du Nord placent leurs morts sur des arbres ou les exposent dans des cabanes dressées sur des pieux. Ce sont là des rites qui peuvent et doivent avoir précédé ceux de la sépulture dans des grottes, puis sous des pierres disposées de manière à rappeler les grottes en les imitant artificiellement. L’homme qui choisit ce mode de sépulture obéissait visiblement à la pensée de procurer au mort une demeure semblable ou même supérieure en beauté à celle qu’il avait possédée de son vivant. Cette idée, déjà complexe, a dû venir tard. Il ne faudrait pas en conclure cependant que l’homme chelléen abandonnât ses morts sans aucun souci de leur donner une tombe ; mais si son arme principale, la massue, n’a pu laisser de vestiges, une sépulture à l’air libre n’en aurait pas laissé davantage, et, de plus, elle expliquerait la perte à peu près absolue des ossemens humains de l’époque. Les quelques débris venus jusqu’à nous seraient ceux d’individus morts par accidens, et cette circonstance permettrait de comprendre pourquoi la même pénurie n’a pas lieu pour les ossemens des autres animaux contemporains, qui n’auraient pas été, comme l’homme, systématiquement soustraits à l’enfouissement après leur mort.

Les pièces fausses ou douteuses, rapportées sans preuves à l’époque chelléenne, une fois écartées, M. de Mortillet ne retient pour légitimes qu’un bien petit nombre d’ossemens. Ils constituent la race qui, étudiée au point de vue purement anatomique, a reçu de