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croissaient dans la vallée de la Marne. Tout un ensemble de grands animaux se groupaient autour de l’Elephas antiquus ; le priscus n’était autre que l’éléphant d’Afrique ; il s’avançait moins au nord que le premier, mais on observe entre eux des intermédiaires. Le rhinocéros de Merck est le compagnon habituel de l’éléphant antique. Les hippopotames se joignaient à eux et fréquentaient les eaux de tous les fleuves, dont les éléphans et les rhinocéros suivaient les bords. Un carnassier formidable, le « machœrodus, » achevait alors de disparaître ; le grand ours des cavernes se multipliait au contraire. Les chevreuils, les cerfs, les chevaux vivaient en troupes nombreuses. La température, dit avec raison M. de Mortillet, était douce, sans chaleurs trop vives. L’étude des végétaux autorise à admettre une humidité également répandue des environs de Paris à ceux de Tlemcen en Algérie, circonstance évidemment favorable à l’extension de l’homme, qui rencontrait partout à peu près les mêmes conditions d’existence. L’homme chelléen vivait en plein air, peut-être sous des abris légers, dans des cabanes de feuillage ; mais il ne fréquentait pas les cavernes et ignorait, à ce qu’il semble, l’usage d’ensevelir les morts, particularités qui expliquent à la fois l’abondance des instrumens de cet âge dans les alluvions et à la surface du sol de certains pays, leur absence des grottes qui servirent de lieu de refuge aux âges suivans, enfin l’extrême rareté des ossemens.

Il faut supposer que la race de Chelles avait trouvé dans la région correspondant aux vallées actuelles de la Seine, de la Marne et de la Somme des conditions spécialement favorables. Le nombre des instrumens recueillis sur les points restreints de cette région où l’on a pratiqué des fouilles le prouve suffisamment. Les silex de la craie fournissaient à la fabrication des matériaux abondans qui constituaient peut-être une source de richesse pour ces peuplades. M. de Mortillet estime à plus de vingt mille les échantillons retirés depuis vingt-cinq ans du plateau de Saint-Acheul, près d’Amiens, et le gisement est loin d’avoir été épuisé. Ce chiffre, en y joignant celui des pièces recueillies sur une foule de points de l’Oise, de Seine-et-Marne, de l’Yonne, de l’Aube, du bassin de la Loire, de la Normandie, etc., donne l’idée d’une population active, ayant atteint une certaine densité relative et dont aucun événement fâcheux n’aurait interrompu durant de longs siècles la paisible extension. On suit du reste la race de Chelles bien au-delà des limites que nous venons d’indiquer et qui marquent le périmètre des premières découvertes. Partout les instrumens restent les mêmes, mais la matière change, et là où les rognons de silex font défaut, d’autres substances dures et compactes, comme le quarzite, le jaspe, les grès fins, etc., ont été utilisées. C’est ce que l’on remarque principalement dans le bassin de la Gironde, où les cailloux roulés des roches pyrénéennes,