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d’une région tempérée, c’est encore dans les régions tempérées qu’une fois localisée, elle a pu exercer et perfectionner à la longue ses plus nobles facultés. Ailleurs l’homme a vécu et il a réussi à se maintenir ; là seulement, toujours vers les mêmes latitudes, — que ce soit en Chine, en Chaldée, en Égypte ou sur les plages mexicaines, — l’homme a accompli ses destinées en se civilisant ; il a donné l’essor aux germes de supériorité qu’il gardait en lui, mais ces germes, déposés au fond de son âme par la volonté incompréhensible de celui dont il est l’image, sont demeurés faibles et inactifs dans une foule de races. Chez quelques-unes seulement ils se sont développés à des degrés inégaux, et finalement épanouis jusqu’à produire des fleurs merveilleuses.


V

Il ressort de l’exposé précédent que l’homme, au sortir d’une région mère encore indéterminée, mais qu’un ensemble de considérations engage à reporter au nord, a dû rayonner dans plus d’une direction ; que ces émigrations se sont constamment dirigées du nord au sud ; et qu’enfin, elles ont donné lieu à des races dont les plus anciennes, celles qui, dans leur exode, s’avancèrent le plus loin, auraient été aussi les plus inférieures. Les supérieures seraient celles qui, venues plus tard et localisées dans des conditions de climat particulièrement favorables, se seraient élevées graduellement jusqu’à atteindre, par le perfectionnement des facultés mentales et du bien-être matériel, cet état complexe qu’on désigne du nom de civilisation.

M. de Mortillet s’est préoccupé de cette marche et, persuadé que l’homme proprement dit, celui qui est sous nos yeux, l’humanité en un mot dont nous faisons partie intégrante, n’est qu’une résultante et, pour ainsi dire, le terme dernier d’une série de transformations successives, il distingue plusieurs hommes : l’homme tertiaire, l’homme quaternaire, l’homme actuel. L’homme du quaternaire ancien, celui du Néanderthal, de Denise et de Canstadt lui paraît déjà si différent du type humain historique que non-seulement il le sépare de celui-ci, mais qu’il crée pour les temps antérieurs au quaternaire une catégorie humaine ou pseudo-humaine d’un ordre particulier. Ce sont pour lui des « précurseurs de l’homme » auxquels inappliqué le nom significatif d’anthropopithèques (anthropopithecus), c’est-à-dire « hommes simiens, » parce qu’il les considère comme ayant précédé l’homme dans l’échelle des êtres, et constituant un type intermédiaire entre les anthropomorphes actuels et l’homme. Il s’agirait donc d’une créature assez élevée au-dessus du gorille et du chimpanzé pour avoir su tailler des cailloux et se