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principalement dans les phosphorites du Lot. Ces lémuriens primitifs ont reçu de M. Delfortrie les noms significatifs de paléolémur et de nécrolémur. Pour expliquer, selon la doctrine transformiste, la descendance de l’ensemble des singes de l’ancien et du nouveau continent du rameau lémurien, il suffit de supposer qu’à une époque assez reculée pour que le refroidissement polaire fût encore peu sensible, les lémuriens se soient répandus dans l’hémisphère boréal tout entier, le climat chaud jusque dans le nord n’opposant pas d’obstacle à cette diffusion. Mais cette transformation des lémuriens en singes a dû demander un temps considérable, pendant lequel le groupe en voie de différenciation aura dû reculer de plus en plus vers le sud, de telle sorte qu’au moment où les pithéciens auront acquis respectivement les caractères spéciaux qui les distinguent dans l’ancien et le Nouveau-Monde, ils étaient déjà trop avancés dans la direction du Midi pour avoir encore la possibilité de se mêler ; les voies de communication, en un mot, étaient fermées derrière eux.

Appuyés sur cette base, interrogeons maintenant les documens paléontologiques. Qu’allons-nous voir en invoquant le témoignage de M. Gaudry, consigné dans son beau livre sur les Enchaînemens du monde animal[1] ? Les lémuriens, ces précurseurs des singes, se montrent seuls jusqu’à la fin de l’éocène. C’est plus tard, lors du miocène et non pas même du plus inférieur, à Sansan (Gers), à Saint-Gaudens (Haute-Garonne), à Monte-Bamboli en Toscane, plus loin à Pikermi (Attique), que l’on rencontre des pithéciens assimilables à ceux de la zone équatoriale « de l’ancien continent. » À cette époque qui est à peu près celle d’OEningen et de la mer mollassique qui partageait l’Europe de l’est à l’ouest, de la vallée du Rhône en Crimée, à travers la vallée actuelle du Danube, un climat subtropical régnait encore dans le centre de l’Europe, et les palmiers s’avançaient jusqu’en Bohême, le long des rives septentrionales de cette mer intérieure. C’est à la faveur de cette température que les singes occupaient alors l’Europe jusqu’aux approches du 45e degré, mais sans aller au-delà, remarquons-le, et dans un âge encore voisin du terme de leur évolution, soit que la région mère où ils achevèrent de se constituer ait été plus méridionale que l’Europe, soit qu’ils aient arrêté leurs traits définitifs sur le sol même de notre continent. Dans tous les cas, c’est bien à la chaleur seule que leur présence était due, puisqu’à partir du pliocène et, à mesure que les éléphans et l’homme lui-même commencent à se montrer, par une conséquence visible de l’abaissement du climat, alors

  1. Les Enchaînemens du monde animal, par A. Gaudry, membre de l’Institut. Paris, 1878, F. Savy.