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Ils sont essentiellement grimpeurs, tandis que l’homme est exclusivement marcheur et a dû être toujours prédisposé pour la station bipède. Les plus élevés des pithéciens, ceux que l’on nomme anthropomorphes, marchent mal et difficilement. Lorsqu’ils quittent les arbres où ils demeurent plus habituellement, leur station est oblique, et dans la course ils replient les orteils pour ne pas toucher le sol de la plante des pieds. Il y a donc là un ensemble d’indices révélateurs qui autorisent à ne pas admettre sans examen et en dehors de preuves décisives, l’hypothèse de l’origine simienne de l’homme. Il y a plus, et les pithéciens paraissent avoir évolué en sens inverse de l’homme. Amis exclusifs de la chaleur, ils dépérissent rapidement quand on les sort des environs de la ligne pour les amener dans notre zone tempérée. Leur siège principal, la région qu’ils préfèrent, est compris entre les tropiques, qu’ils ne dépassent au nord, comme au sud, que par quelques-unes de leurs espèces et à la faveur de certaines circonstances. La zone tropicale est donc la zone de prédilection des singes et celle surtout qui convient exclusivement aux anthropoïdes. Ces derniers, à Java, dans le sud de l’Inde et au centre de l’Afrique, représentent les plus élevés des pithéciens, ceux qui physiquement tiennent à l’homme de plus près. — Ainsi, tandis que l’homme venu du Nord et probablement de l’extrême Nord, ne s’avance au sud qu’au moment où l’abaissement de la température favorise sa diffusion, les singes, dont une forte chaleur est l’élément vital, se développent dans un âge où l’Europe se trouve en possession d’un climat au moins subtropical, et ils s’éloignent de notre continent dès que ce même climat devient tempéré, de telle sorte que leur départ coïncide justement avec l’arrivée de l’homme. En un mot, les singes fuient pour retrouver plus au sud la chaleur qui leur est nécessaire, alors que précisément la diminution de cette chaleur semble ouvrir à l’homme l’accès des régions d’où ses devanciers sont définitivement exclus.

La nécessité de placer le berceau des pithéciens dans un pays chaud, contrairement à ce qui a dû se passer pour l’homme, donne la clé d’une particularité de la distribution géographique actuelle de ce groupe d’animaux. Nous voulons parler de la séparation des singes de l’ancien et du nouveau continent en deux groupes distincts, n’ayant pas la même formule dentaire, puisque ceux de l’ancien monde ont trente-deux dents, comme l’homme, et ceux de l’Amérique trente-six. L’importance de ce caractère, qui est grande en anatomie, oblige d’admettre une très ancienne séparation des deux groupes, sortis l’un et l’autre d’une transformation des lémuriens, tribu de grimpeurs à caractères ambigus, actuellement confinée à Madagascar, mais dont on a rencontré des vestiges certains à l’état fossile dans le tertiaire ancien, sur divers points de l’Europe,